« Soins palliatifs » – aumônerie et accompagnement spirituel d’enfants et de jeunes malmenés

Quel est le lieu théologique de l’aumônerie des enfants et des jeunes dits « mineurs placés », donc de tous ces jeunes, filles et garçons qui, pour des difficultés personnelles, familiales ou situationnelles, ont des mesures éducatives et se retrouvent en famille d’accueil, en foyer ou en institution ?

« Rebondir » était le terme qui nous est venu spontanément en esprit, les accompagner dans une phase de vie critique, en espérant qu’ils trouveront ou retrouveront un équilibre viable.

« Une aumônerie pour construire et/ou reconstruire la vie » ont intitulé nos prédécesseurs une brochure d’information sur notre service, « faire voir au jeune l’ouverture d’un chemin possible », « faire connaître la résilience – force de résistance et de reconstruction – qui s’inscrit dans le droit fil de la dynamique de mort et résurrection de la perspective chrétienne ».

« Résilience », le mot est tombé. Peut-il avoir de la résilience quand il y a eu trauma ?

Boris Cyrulnik écrit dans un livre édité avec Jean-Pierre Pourtois, « École et résilience »[1] :

« … le jour où un enfant entre dans cette structure périfamiliale (l’école, AK), c’est avec ses acquisitions intrafamiliales qu’il va tenter son aventure sociale.

Quand tout se déroule bien, la transaction entre ce qu’est l’enfant à ce moment et ce qu’est l’école dans ce contexte social constitue une épreuve qui épanouit l’enfant, et l’on parle de ‘développement normal’. Mais quand un trauma déchire un point du système, dans l’enfant, dans sa famille ou dans sa culture, le développement s’arrête, et l’on parle d’’antirésilience’. Quand il reprend sous une forme nouvelle avec la mémoire de la blessure, on peut alors parler de résilience à propos de ce néodéveloppement. » (Boris Cyrulnik, p. 8 )

Parler de résilience quand il y a trauma, n’est-ce pas abus de langage, banaliser une souffrance qui laisse des traces, à vie, des séquelles, des « blessures », comme Cyrulnik le dit lui-même ?

En ce qui me concerne, j’utilise le terme « résilience »[2] dans le contexte du « développement normal » qui, lui aussi, est parsemé de crises profondes laissant des traces, mais de sorte que celles-ci contribuent positivement à la construction de la personnalité. Quand il y a traumatisme, les séquelles feront toujours mal, même là où les traumata auront été surmontés. Il peut y avoir guérison, mais post-traumatique, une certaine fragilité restera donc. C’est dans ce contexte que se situe l’aumônerie des « mineurs placés » ; il y aura toujours marque résiduelle, si ce n’est pas physique au moins psychique, sociale peut-être, spirituellement sûrement, théologiquement « stigmate »[3] :

« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Psaume 22)

Le lieu théologique de l’aumônerie des enfants et jeunes « placés », comme pour beaucoup d’aumôneries, est donc, comme mentionné, le lieu entre croix et résurrection, et « rebondir » veut dire dans notre contexte « ressusciter ».

Notre lieu spécifique est en conséquence samedi saint, « entre », après la croix et avant Pâques, et « rebondir » appartient au « saut » de la Pâque :

« Je passerai par-dessus vous et le fléau destructeur ne vous atteindra pas. » (Exode 12,13)

Quelles sont conséquences pour l’accompagnement spirituel ?

Être présent, être là, dans l’impuissance et l’insécurité, celle de samedi saint

Être serein, disponible, supporter, tenir bon, suspendre le « savoir » (« crucifié », lui aussi) pour que con-naissance devienne possible

Prendre soin, du « corps abîmé », pâtir, compatir et « empâtir »

Écouter, partager le récit de l’expérience de la croix :

« Ils parlaient entre eux de tous ces événements. » (Luc 24,14).

« Un lieu où la parole puisse être échangée, écoutée ; la situation travaillée … » (brochure « Une aumônerie pour construire et/ou reconstruire la vie)

Témoigner, avec retenue :

« Il y avait là plusieurs femmes qui regardaient à distance. » (Matthieu 27,55)

Cheminer ensemble, prêts à se laisser rejoindre par le Christ :

« Or, comme ils parlaient et discutaient ensemble, Jésus lui-même les rejoignit et fit route avec eux. » (Luc 24,15)

Préparer le passage, le « rebond », par le rite, structurer le chemin, afin que sens puisse surgir :

« Or, quand il se fut mis à table avec eux, il prit le pain, prononça la bénédiction, le rompit et le leur donna. Alors leurs yeux furent ouverts et ils le reconnurent, puis il leur devint invisible. » (Luc 24,30s)

En résumé, dans un contexte tout autre que d’habitude, nous nous retrouvons en situation de soins palliatifs où l’enveloppe physique, psychique, sociale et spirituelle de la personne accompagnée étant abîmée, fragile, fissurée, – certains parlent de « détresse spirituelle » -, nous devons d’abord soigner, avant de vouloir tout de suite rééduquer. Le « pallium », la couverture des soins palliatifs, ne nous rappelle-t-il pas la tunique du jeune homme suivant Jésus après son arrestation et le linceul enveloppant le corps de Jésus après la crucifixion ?

« Un jeune homme le suivait, n’ayant qu’un drap sur le corps. On l’arrête, mais lui, lâchant le drap, s’enfuit tout nu. » (Marc 14,51s)

« Prenant le corps, Joseph (d’Arimathée) l’enveloppa dans un linceul propre … » (Matthieu 27,59)

C’est une théologique de Pâques (et de la Pâque), au centre de la foi chrétienne, qui devrait nous guider dans l’accompagnement spirituel de toute personne en situation de crise d’identité profonde, où ce qui était doit mourir pour que ce qui deviendra puisse naître. Nous, les accompagnants, n’avons pas de prise sur la naissance ; nous pouvons seulement aménager des lieux qui créent peut-être des conditions favorables à sa manifestation, le vide de l’existence humaine, le creux, pour que celui-ci devienne matrice.

Et quand naissance se fait, il y a de nouveau enveloppe :

« Elle accoucha de son fils premier né, l’emmaillota … » (Luc 2,7)

Armin Kressmann 2011


[1] Odile Jacob, Paris 2007

[2] Terme venant de la métallurgie où il désigne la capacité d’un métal à résister à la déformation, à revenir à l’état original sans traces détectables. Une fois passé au-delà d’un certain point, une déformation laissera toujours des fissures résiduelles, peut-être pas visible à l’œil nu, mais détectables par d’autre moyens, donc un endroit qui restera fragile.

[3] Sans stigmatisation, au contraire, cf. plus loin.

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