De l’exégèse clownesque, du culte et du théâtre, du mortel et du sacré

« J’aurais pu l’appeler le théâtre de l’invisible-rendu-visible. J’ai préféré la formule plus brève de ‘théâtre sacré … un théâtre qui agirait comme la peste, par contamination, par enivrement, par analogie, par magie, un théâtre dans lequel l’événement lui-même tiendrait lieu de texte … un autre langage, tout aussi exigeant … que le langage des mots … un langage de l’action, un langage de sons, un langage de la parole-parodie, de la parole-injure, de la parole-contradiction, de la parole choc … de la parole-cri … un endroit où nous pouvons nous libérer des contraintes de nos vies quotidiennes … un lieu sacré où trouver une réalité plus profonde. » (Peter Brook ; L’espace vide ; Écrits sur le théâtre)

Le clown nous fait entrer dans un autre monde, le monde … du rêve, de l’enfance, du monde de l’autre, des profondeurs de nous-mêmes, de nos folies et de la folie … de Dieu, seule sagesse qui surmonte la mort.

Si je suis le clown dans sa démarche, je peux essayer des choses que je ne pourrais jamais faire dans la vie normale des humains …
Je peux découvrir qui je suis : moi, moi dans l’autre, l’autre en moi …
« Ça mange quoi un clown ? » disait une petite fille, « ça dort où ? » « Ça mange ce que tu veux, ça dort où tu veux, ça fait ce que tu veux, à ton gré ! »
Le clown porte en lui toutes les richesses et toutes les « imperfections » de l’humanité. Vivre pleinement son clown, c’est trouver cette juste distance entre liberté et responsabilité, c’est donc sérieux et en même temps drôle et enrichissant pour tous.

Le clown incarne la fides qua creditur au point qu’on ne sait plus si le ciel est sur terre ou la terre dans le ciel. Il enchaîne croix et résurrection à échelle humaine, au point de confondre les deux.

Ce que sait, ce qu’est et ce que respecte le clown – Les règles de clown comme règles de vie :

  • Le clown relie le ciel à la terre : il a le nez … au ciel … et les pieds … sur terre.
  • Le clown est un passionné : il reçoit le monde et les autres tels qu’ils se présentent à lui ; il n’a pas de préjugés. Il prend les choses telles qu’elles apparaissent à lui, avec amour, affection, empathie, sympathie, ouverture, compassion et passion, comme un cadeau qui l’émerveille.
  • Le clown propose au monde et à autrui ce qu’il ressent et il reçoit les propositions que le monde et les autres lui font. Il les reçoit sans les juger, telles qu’elles lui adviennent.
  • Le clown exprime ce qu’il ressent ; il fait part de ses sentiments et de ses émotions. Il les propose à autrui, comme un cadeau.
  • Il assume sa violence ; il l’exprime sans violence, c’est-à-dire sans passage à l’acte !
  • Il assume sa méchanceté et l’offre aux autres sans méchanceté.
  • Le nez du clown représente l’intimité : on n’y touche pas ! On ne le met et on ne l’enlève pas devant le public !
  • Le clown respecte la distance avec autrui. Sans permission, il n’entre pas dans la bulle d’autrui.
  • Le clown, sans violence ni méchanceté, va dans les extrêmes ; les extrêmes de ses sentiments, de ses émotions, de ses mouvements, de ses idées, de sa timidité ou de son extériorité, sa gentillesse ou sa méchanceté, sa joie ou sa peine, ses larmes ou ses rires, ses silences ou ses bruits. Il exploite les extrêmes de la vie sans mettre en danger la vie, ni par ses paroles, ni par ses actes.
  • Le clown va d’un extrême à l’autre. Quand sa vie bascule c’est lui qui bascule, des larmes aux rires et des rires aux larmes. Sans êtres extrémiste il est un extrémiste.
  • Le clown est son corps et son corps c’est lui. Il parle avec son corps. Et son corps, c’est son nez, au milieu de son être, au milieu de son visage, et son corps ce sont ses pieds, bien gros et bien plantés en terre, même quand il perd pied, et son corps est ce qui est entre son nez et ses pieds, et son corps c’est ce qui est au-delà de son nez et de ses pieds, et son corps, c’est le ciel et la terre, et son corps est ce qui est au-delà du ciel et de la terre !
  • Le clown est dieu à échelle humaine.

Le clown est tout et le clown n’est rien !

L’exégèse clownesque – Une méthodologie pour l’étude biblique

  • La lecture de la bible par le clown est phénoménologique :
  • Tout a priori est abandonné ; il n’y a pas de connaissance préalable, pas de dogme, pas de doctrine qui pourrait conduire la lecture. Connaissance est réellement co-naissance, nouvelle naissance.
  • Il reçoit le texte comme objet, objet-parole et parole-objet, comme réalité qui se pose devant lui et qui lui résiste. Il fait de même avec Dieu.
  • Il joue avec lui, il se mesure avec lui, dans un jeu libre, mais profondément existentiel, – il s’agit symboliquement de vie et de mort, de croix et de résurrection -, un combat à l’image de ce que vit Jacob dans sa lutte avec lui-même, avec l’autre, avec Dieu.
  • Défaite et victoire, échec et réussite, chute et relèvement se côtoient et se succèdent. L’issue du combat est ouverte.
  • Cependant, au terme, parce qu’il s’agit de l’ultime, il y a bénédiction ; pour le clown il y a toujours bénédiction, il ne peut avoir autre chose que bénédiction.
  • Le combat est physique et émotionnel.
  • Là où le clown est intellectuel ou dialogal, il est fondamentaliste.
  • Il est profondément fondamentaliste, non pas par idéologie, mais parce qu’il ne peut pas faire autrement. Il est comme l’enfant.
  • Le clown est un enfant, tout en sachant qu’il n’est plus enfant, mais qu’il était enfant et qu’il est invité à vivre le monde et autrui, et Dieu surtout, comme un enfant.
  • Vivre comme un enfant est toucher et être touché, physiquement, émotionnellement, spirituellement.
  • Tout lui touche, il touche tout, il toucha à tout, … sauf le nez, ni le sien, ni celui d’autrui, et encore moins celui de Dieu.
  • Rires et pleurs, angoisse et colère se côtoient et se succèdent.
  • Le clown les assume, il les vit et il ne se gêne pas de les vivre.
  • C’est ainsi qu’il vit la gêne même, comme tout autre sentiment. Il ressent, il ressent autrui, il sent et ressent Dieu ; il le bouffe si c’est nécessaire ; sauf le nez …
  • Le clown est égocentrique ; il ne peut pas faire autrement.
  • Cependant, cette vie, cette confrontation avec le texte, avec soi-même, autrui, le monde et Dieu, à l’état primaire, se fait dans un cadre de règles stricte
    • Toute émotion est reçue et assumée
    • Toute proposition est reçue et assumée
    • Tout est permis
    • Sans passage à l’acte
    • Sans toucher au nez
    • Car le nez, – la dignité, la sainteté -, est intouchable
    • Ce qui fait que blasphème il ne peut avoir
    • Si blasphème il y avait, il n’aurait plus clown
    • Toucher au nez est mortel
    • Le jeu du clown, le jeu avec le texte, le jeu avec autrui et celui qui se joue avec Dieu … est profondément … érotique … Sans toucher au nez !
    • Toute action ou parole est proposition
    • Et toute proposition est reçue comme proposition est transformée en contre-proposition
    • Le clown ne bloque jamais le jeu, sinon il tue le jeu et meurt avec lui
    • Même le « non » ne peut être que proposition
    • Chaque parole, chaque mot est figure, résiste et séduit

Dans le jeu exégétique clownesque il y a fondamentalement trois rôles :

  •  La Parole, ou le Fils, le chemin et la vérité – Clown 1
  • Celui qui suit, qui croit, même s’il ne croit pas, donc le disciple, crédule, incrédule, bête comme l’humain – Clown 2
  • L’Esprit ou le Père, le Pharisien ou le diable … ce qu’on ne sait jamais – Clown 3
  • Le jeu fait évoluer et changer les rôles, mais fondamentalement, il y a toujours les trois
  • Et parce que le nez n’est jamais touché, c’est toujours le Père qui est visé, sans qu’il soit touché
  • Et tous, Dieu aussi, en s’en égarent constamment, sont tenus à revenir toujours au texte … qui définit l’espace de jeu que personne ne peut quitter sans tuer le jeu !
  • Et quand jeu il y a, il y a aussi naissance, connaissance, croix et résurrection, finalement salut et parcelles du royaume …

Ainsi, quand ça joue, il y a passage de l’exégèse au culte, et le culte a le potentiel de devenir sacré.

« Un lieu nouveau réclame une cérémonie nouvelle, mais, bien entendu il aurait fallu que la cérémonie existât en premier. C’est la cérémonie, avec toutes ses implications, qui aurait dû dicter la forme du bâtiment … »

« L’élément fondamental, c’est le corps. » (Peter Brook)

Armin Kressmann 2014

 

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