« ReSpirE » – grammaires éthiques, spirituelles, religieuses

Spiritualité et spiritualités

Qu’est-ce qui tient ensemble ce « ReSpirE » qui je défends et qui se trouve à la base de mes réflexions et de mon engagement comme pasteur et aumônier ?

Mark Hunyadi parle de grammaires éthiques, de systématiques diverses, quand il faut décrire le champ éthique, les différents types d’éthique possibles pour aborder un enjeu éthique (éthique déontologique, utilitariste, objective, procédurale, de vertu, etc.). Moi-même, dans mon travail sur la spiritualité dans les institutions sociales de 2008, je donne une vision globale des différents types de spiritualité. George Lindbeck[1], s’inspirant de Wittgenstein et de ses « jeux de langage », applique le concept de cultures ou de grammaires même aux religions et considère la dogmatique d’une religion comme sa grammaire, en articulant celle-ci finalement de nouveau avec la vie elle-même (« Lebensform »[2]), ce qui la fait rejoindre l’éthique, avec ses grammaires :

 « … on peut considérer une religion comme une sorte de cadre ou de medium culturel et/ou linguistique qui façonne l’intégralité de la vie et de la pensée. … Une religion ressemble … à un idiome qui rend possible la description de réalités, la formulation de croyances et l’expérience d’attitudes, d’émotions et de sentiments intérieures. Comme une culture ou une langue, c’est plutôt un phénomène communautaire qui modèle la subjectivité des individus avant d’en être une manifestation. Une religion comporte un vocabulaire de symboles discursifs et non discursifs, accompagné d’une logique et d’une grammaire distincte qui permet de faire fonctionner ce vocabulaire en lui donnant du sens. Enfin, une tradition religieuse, tout comme un langage (ou un « jeu de langage », pour reprendre l’expression de Wittgenstein), est en corrélation avec une forme de vie et, tout comme une culture, elle possède des dimensions à la fois cognitives et comportementales. Ses doctrines, ses récits … ou ses mythes, ainsi que ses recommandations éthiques, sont intégralement liés aux rites qu’elle pratique, aux sentiments ou aux expériences qu’elle suscite, aux actes qu’elle préconise et aux formes institutionnelles qu’elle développe. Comparer une religion à un système culturo-linguistique implique tout cela. » (p. 35s)

L’approche par « grammaires », – grammaires éthiques, spirituelles et religieuses -, et le lien qu’on peut faire entre elles (à un niveau méta), fait sortir un cercle herméneutique (hypertexte), – un « jeu » entre l’éthique, le spirituel et le religieux dont les règles seraient à extraire et/ou établir -,  qui donne forme (« Gestalt ») à cet ensemble que les phénoménologues appellent « forme de vie » : « Lebensgestaltung ». Ainsi celle-ci constitue en elle-même une sorte de métalangage, dans lequel il faudrait distinguer deux, voire trois niveaux :

  1. les dimensions de la vie, selon un modèle bio-psycho-socio-spirituel (ou -religieux), ce qui est manifeste et se manifeste au premier niveau,
  2. ce qui englobe ces dimensions, ou les synthétise, la spiritualité d’une vie dans le sens fort du terme, l’esprit qui donne vie à la vie, à l’être âme-corps, deuxième niveau, perceptible seulement à travers le jeu (« jeu de langage ») entre ce qui se manifeste à travers les dimensions du premier niveau
  3. et ce qui fonde l’ensemble, ce qui l’institue, appelle à l’existence, mais aussi ce vers quoi il tend finalement, immanent ou transcendant, qui n’est plus perceptible en tant que tel, même pas dans le jeu, parce qu’il est hors jeu, l’influence seulement de l’extérieur et d’une manière indirecte, à travers le jeu et ce qui se manifeste dans le jeu, ce qui est porteur de sens.

Au premier niveau il y a faits et objets qui, au deuxième niveau, interagissent pour devenir jeu ; celui-ci, à travers ce qui s’y joue et ce qui forme le jeu reflète ses fondements et son sens (ou vanité et non-sens), donc son origine et sa finalité. Faits et objets deviennent ainsi « sym-boles », ce qui est « jeté ensemble » et qui dans l’interaction exprime le ou les sens, ou le non-sens, dont ils sont porteurs.

Se pose alors la question : que mettre plus concrètement à ces trois niveaux dans une institution médico-socio-pédagogico-éducative se donnant un cadre laïc (ouvert) comme l’Institution de Lavigny, et plus particulièrement comme théologien, pasteur et aumônier d’une Église évangélique réformée (protestante) actif en ce milieu ?

Comment concrétiser ce « ReSpirE » ?

Armin Kressmann 2012


[1] La nature des doctrines ; Religion et théologie à l’âge du postlibéralisme ; Van Dieren, Paris 2002

[2]

« A la multiplicité des jeux de langage correspond celle des ‘formes de vie’ qui renvoient à l’arrière-plan anthropologique de nos usages langagiers. Nos mots et nos phrases n’ont de sens qu’à l’intérieur de pratiques : ce sont bien des hommes qui parlent et le langage est indissolublement lié à la elle-même. » (Julien Jimenez ; Ludwig Wittgenstein, Conférence sur l’éthique ; foilioplus 2008, p. 80)

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