« Mais quoi ? ce sont des fous … » Raison ou déraison de la raison de la folie

« Mais quoi ? ce sont des fous … » … « sed amentes sunt isti » … « ce sont des fous … »

Cette phrase est de René Descartes, tirée de ses Méditations, publiées à Paris en 1641 en latin, et en 1647 en français, sous le titre :

« Les Méditations métaphysiques de René Descartes touchant la première philosophie, dans lesquelles l’existence de Dieu et la distinction réelle entre l’âme et le corps de l’homme sont démontrées. »

Pas seulement l’œuvre dans son ensemble, mais aussi la petite phrase a fait histoire ; elle a provoqué, plus que trois cents ans plus tard, dans les années soixante-septante du siècle passé, ce qu’on appelle « La querelle sur la folie », dispute vive entre deux autres grands philosophes, Michel Foucault et Jacques Derrida.

Dans le petit passage que Descartes avait consacré à la folie, Foucault voyait un tournant historique dans la conception et dans la prise en charge de la folie :

désormais, à partir de Descartes, la folie était exclue de la raison ce qui, selon Foucault, était le début de son enfermement, de tout ce qu’il dénonce dans son livre célèbre « L’histoire de la folie à l’âge classique ».

La folie est-ce raison ou déraison ?

La question n’est pas anodine.

Une institution, – quelle qu’elle soit, de la famille jusqu’à l’Etat, voire les organisations internationales -, une institution se fonde sur la raison et elle se construit à travers la raison, par des actes de droit, – droit public ou droit privé -, par des lois, des déontologies, des procédures, des règles et des règlements.

Une institution qui, – comme Eben-Hézer, l’Espérance, l’Instituition de Lavigny ou toute autre institution qui accompagne des personnes mentalement handicapées ou avec des difficultés psychiatriques lourdes -, se charge d’accompagner des « fous », – fous comme ils étaient perçus à l’époque de Descartes, fous tels qu’ils sont encore aujourd’hui qualifiés par une majorité de la population -, se retrouve alors devant un choix difficile :

la folie, la folie de ses résidants ou patients, pour elle, l’institution, pour ses collaborateurs, pour sa direction, est-ce raison ou déraison ?

Raisonnables comme nous le sommes en tant « qu’êtres raisonnables », notre tendance naturelle serait de concevoir la folie de nos résidants comme déraison. Mais voilà, dans ce cas-là, nous sommes en décalage avec ceux et celles qui nous sont confiés. Et décalage, il y en a, régulièrement ; notre logique et celle de nos résidants ne se retrouvent pas toujours.

Alors, la folie des résidents ou patients, est-ce déraison ?

Mon expérience personnelle et professionnelle m’a fait rencontrer plusieurs personnes, pour ne pas dire personnalités, pour lesquelles la folie des résidants ou patients était raison ; elles m’ont interpellé, elles m’interpellent toujours. Ce sont ces personnages qui, dans mon expérience, ont le mieux réussi à mettre le résidant et le patient au centre du raisonnement institutionnel, de faire ce que nous souhaitons tous faire en tant que professionnels ou en tant qu’être humains raisonnables tout court. Dans nos institutions il y a des collaborateurs qui cherchent inlassablement la raison dans la folie des résidents ou des patients, voire la folie dans leur propre raison et la raison de cette folie de leur propre raison, en bref folie et raison de la raison institutionnelle. Ces personnes mettent en avant la raison des résidents ou patients, même si c’est folie, et ils n’hésitent pas à entrer en confrontation avec la raison institutionnelle, qui, – phénomène inné à l’institution -, ne peut pas donner raison à la folie (et parfois même pas raison à la raison, surtout pas là où la raison est folie pour l’institution ; l’exemple le plus net est la « raison d’État » qui, en général, n’est pas raison, mais déraison).

En général c’est folie de mettre en avant la raison de la folie des résidants ou patients contre la raison de l’institution. C’est folie de vouloir avoir raison contre une institution, car la raison institutionnelle, la raison d’Etat, même si c’est déraison, a toujours raison.

“ Où est le sage ? – demande l’apôtre Paul.
Où est le docteur de la loi ?
Où est le raisonneur de ce siècle ?

Dieu n’a–t–il pas rendue folle la sagesse du monde ?

En effet, puisque le monde, par le moyen de la sagesse, n’a pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu, c’est par la folie de la prédication que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient.

Les Juifs demandent des signes, et les Grecs recherchent la sagesse ; mais nous, nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu.

Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes.

… ce qui est folie dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages ;
ce qui est faible dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre ce qui est fort ;
ce qui dans le monde est vil et méprisé,
ce qui n’est pas, Dieu l’a choisi pour réduire à rien ce qui est,
afin qu’aucune créature ne puisse s’enorgueillir devant Dieu.”

Bible, première lettre aux Corinthiens, premier chapitre, les verstes 20 à 29

Armin Kressmann 2007

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