Hannah Arendt et le monde des institutions socio-éducatives
Institution égale contention, c’est une évidence ! Toute institution donne un cadre, sur la base de lois et de règles. Elle a été fondée par un acte de droit, de droit privé ou de droit public, récemment ou il y a longtemps, aussi longtemps que ses traces peuvent se perdre dans les mythes de l’histoire. Droit, loi, règles, cadre et limites, tout institution est un contenant qui contient et cadre un contenu. C’est lui, le contenu, qui est sa fin ; c’est ce qui habite le contenant qui compte et non pas le contenant en soi, c’est-à-dire l’institution. L’institution n’est que moyen. Malheureusement toute institution a finalement la tendance de se justifier par elle-même et de persister hors les besoins et les intérêts de son contenu pour qui elle a été instituée. Et quand les moyens deviennent fin nous sommes dans la violence ; pour sauvegarder le contenant, le contenu est sacrifié. Cela s’appelle la raison d’Etat.
L’année 2006 était l’année Hannah Arendt. Cette femme penseur, tellement engagée contre tout totalitarisme, ne nous a pas seulement quelque chose à dire par rapport au politique en général, mais aussi en ce qui concerne le politique institutionnel, les « cités » que constituent en soi les institutions socio-éducatives.
Hannah Arendt distingue la violence du pouvoir par son côté instrumental, utilitariste, qui tend vers une fin ou un but. Le pouvoir s’appuie sur une délégation, une légitimité remise par d’autres, la violence sur des seuls moyens ou outils.
Aussi, pour Hannah Arendt, la tradition politique définit la « non-liberté » doublement : d’un côté par le fait d’être exposé et soumis à la violence d’un autre, de l’autre côté par le fait d’être exposé et soumis à la nécessité nue de la vie. De fait, la vie d’une société n’est pas définie par la liberté, mais par la nécessité. En résulte la contrainte du travail.
Ainsi, les résidents de nos institutions socio-éducatives sont exposés à des risques multiples de violence et de maltraitance, en dehors de toute maltraitance physique primaire :
1. Comme personne d’autre ils subissent les nécessités de la vie, étant souvent dépendants déjà pour des actes quotidiens premiers, des soins de base à l’alimentation.
2. Dépendants d’autrui, ils doivent se remettre à son pouvoir ou subir sa violence.
3. Et, en général, ce ne sont pas eux qui choisissent et définissent leur cadre de vie, l’institution dans laquelle ils vivent.
Si, maintenant, l’institution se considère comme finalité en soi et, en plus, se définit, comme c’est la cas actuellement, davantage par les moyens que par les besoins, violence et maltraitance font partie du système, d’un système de contention maltraitant en dehors de toute contention malveillante. Et l’Etat en est complice.
Armin Kressmann 2006