« Est-ce que Dieu aime aussi les méchants ? »

Il y en a, aussi et surtout parmi les professionnels, qui prétendent que les personnes mentalement handicapées peuvent « manipuler » leur environnement. Cette opinion ne témoigne pas seulement d’un manque de professionnalisme, mais aussi d’une incompréhension du phénomène « handicap mental ».

Nous abordons avec une équipe de personnes en situation de handicap mental la question de la méchanceté et de la gentillesse. Très facilement elles peuvent donner des exemples pour cette dernière, des choses très concrètes comme « faire la vaisselle », à « s’aider les uns les autres », jusqu’à « aimer les autres». Par contre devant la question « qu’est-ce que c’est la méchanceté » elles buttent.

Méchanceté, si elle n’est pas intentionnelle, ce qui demande un certain degré d’abstraction, n’est-ce pas absence de gentillesse ou de bonté ? Et comment dire une absence pour quelqu’un avec une difficulté cognitive importante ?

Cet exemple illustre l’impossibilité pour des personnes avec des difficultés cognitives et intellectuelles importantes d’arriver à une abstraction, à une prise de distance suffisantes pour commettre un acte de « méchanceté » ou de « mal » intentionnels, ou seulement pour manipuler leur entourage. Ce qui est lu et interprété par ce dernier comme « manipulation » n’est qu’une réaction spontanée au premier degré, même si c’est une violence importante pour l’environnement. Quand une personne mentalement handicapée « explose » par exemple et commet des actes de violence, elle ne pouvait pas faire autrement sans être menacée dans son être et son existence. Pour ces personnes, la violence est expression de forces de survie devant une réalité vécue comme agression telle qu’elle n’avait plus « d’autres choix ». Si je ne comprends pas ce qui m’arrive et m’angoisse en profondeur et dans mon corps, comment le sublimer en une réflexion ? Ce qui m’advient doit être « positif » (avoir une positivité existentielle), il doit être cernable pour être com-pris et maîtrisé. Le mal, pour celui qui est mentalement handicapé, ne peut pas être conçu qu’à travers l’absence d’un bien ; et il est incapable de concevoir la pervsion du bien.

Cela nous amène à la question du mal absolu que l’être humain, aussi intelligent qu’il soit, ne peut que concevoir qu’à travers l’absence du bien absolu, c’est-à-dire Dieu, ou la personnification du mal (la perversion du bien), c’est-à-dire le diable. Autrement il reste inconcevable et est subi en tant que tel. Lisez « La Nuit » d’Elie Wiesel !

« Est-ce que Dieu aime aussi les méchants ? » était une des questions importantes posées par un ami handicapé. Il se la pose sans pouvoir dire ce qu’est la méchanceté. Dans son handicap il est trop naïf ou trop bon pour savoir ce qu’est la méchanceté. Il se la pose seulement, parce que son entourage projette la méchanceté sur lui quand il lui arrive un malheur, quand il fait une « bêtise » ou quand il ne se laisse pas manipuler à guise. Ce n’est que l’entourage, ce sont les professionnels qui ont suffisamment d’intelligence pour savoir comment on manipule autrui !

Armin Kressmann

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