11.17 Assumer les situations extrêmes : voir la personne au-delà de l’échec de l’éthique

Significations du handicap mental : 11.17 Assumer les situations extrêmes : voir la personne au-delà de l’échec de l’éthique

Voir la personne au lieu de « son handicap », – la paralysie, la folie, la cécité, la maladie, le fauteuil roulant, la canne, la bave, les cris ou les décompensations -, est vaincre la diffraction éthique et supporter les situations extrêmes :

entrer dans l’histoire et la situation dramatiques de celui qui « nous met » devant l’échec (donc nous « institue » dans l’échec), se retrouver ensemble en une histoire commune, partager l’impuissance si c’est nécessaire, porter le fardeau de la faute (institutionnellement ! l’institution est coupable, par principe, ce qui ne disqualifie pas son travail et ses ambitions, au contraire), découvrir l’être nouveau de Tillich, peut-être, le résident comme épiphanie, comme manifestation de l’ultime qui nous fait le cadeau, la grâce de se révéler à nous dans son mystère, cet ultime qui est aussi au fond de moi-même dans ma fragilité et ma culpabilité.

« Je suis qui je serai » (livre de l’Exode, chapitre 3, verset 14) est le nom de celui qui se révèle.

Ceci une fois compris, les récits de miracle de guérison prennent une autre tournure : une fois le lien rétabli (au nom de l’amour, seule instance durable et seul appui sûr), la guérison physique, supranaturelle, n’est plus nécessaire. C’est ce que je postule après avoir travaillé le récit biblique du fou de Gérasa (évangile selon Marc, chapitre 5, versets 1 à 20).

La justification comprise non pas comme résultat d’un effort, mais comme don, dans la passivité de celui qui reconnaît sa limite (l’échec devant les exigences de la loi, en l’occurrence les procédures et les déontologies[1], ce qui est la réalité dans les situations extrêmes évoquées), nous amène au par-don et l’acceptation de l’autre tel qu’il est :

„Paul Tillich spricht von der bedingungslosen Annahme des Menschen, von der ‚Annahme des Unannehmbaren’. Diese Annahme schliesst die Entlastung von der Forderung an den Menschen ein, sein Heil selbst zu schaffen.“ (Martin Honecker, p. 84)

„… der Sinn der frohen Botschaft, dass ich – obwohl unannehmbar – (von Gott, AK) angenommen bin.“ (Paul Tillich; Sytematische Theologie III ; De Gruyter, Berlin 1987, p. 256)

Être là, « intervenants » des différents corps professionnels répondant à l’appel d’être là au bout d’une longue chaîne d’autres intervenants ayant eux déclarés forfait, et se laisser entraîner ou guider par celui qui nous amène avec lui en situation extrême, au-delà, et nous met devant la question ultime « qui suis-je ? devant l’ultime ? »

« Die Frage dessen, der seine Sünden bekennt, lautet :

Wer bin ich – vor Gott ? » (Martin Honecker, p. 50)

est répondre à la justification et au pardon qui nous précèdent (l’amour[2]), donc s’ouvrir à la rencontre ultime, le jugement dernier (ici et maintenant) :

„Das Reden von Rechtfertigung stellt somit vor die Frage :

Wie begegnet uns gegenwärtig Gott im Menschen Jesus von Nazareth ?“ (Martin Honeccker, p. 85)

La question de la justification, – et tous les jours on se justifie en milieu socio-éducatif et médico-social -, nous met devant la question :

« Comment se manifeste à nous et vient à notre rencontre, ici et maintenant, dans notre présent, Dieu, en cet homme Jésus de Nazareth ? »

La question de Dieu est incontournable, et si ce n’est que comme question. Elle se pose à et dans toute institution qui veut accompagner ceux et celles qu’elle accueille :

Comment prendre autrui « en charge » et se prendre soi-même en charge, assumer le fardeau que je suis pour l’autre et que l’autre est pour moi ?

Qui porte qui ?

Denis Müller conclut son article sur la place de l’éthique en théologie dans « Introduction à l’éthique » (Labor et Fides, Genève 2009) en disant :

« Seule l’expérience vivante de la foi et de la pensée libres, confrontées à l’échec, à la mort et la haine, peut fournir le viatique nécessaire à une persévérance paisible et décidée sur le chemin de la ‘vérité’, vocation incontournable de la théologie chrétienne. » (p. 119)

« ReSpirE » est au même temps l’appel et la réponse à l’appel, le fond, la méthodologie et la finalité.

« Soyez sans crainte, car voici, je viens vous annoncer une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : Il vous est né aujourd’hui … un Sauveur qui est le Christ Seigneur ; et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché … » (évangile selon Luc, chapitre 2, versets 10-12)

Un nouveau-né emmailloté et couché !

Armin Kressmann 2011


[1] Qui restent par ailleurs pleinement valables :

« N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abroger, mais accomplir. » (Matthieu 5,17)

[2] Représenté psychologiquement par la figure maternelle ; le lien avec la mère étant la dernière « bande », – lien et film -, qui traverse l’ensemble l’histoire de vie des résidents mentalement handicapés. Je prétends que leurs cris et leurs pleurs profonds nous le rappellent constamment, ou devraient le faire. C’est celui qui veut naître qui crie.

 

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