11.15 La pratique d’une éthique théologique en institution laïque : assumer la culpabilité

Significations du handicap mental : 11.15 La pratique d’une éthique théologique en institution laïque : assumer la culpabilité

Dans la pratique, le passage d’une éthique philosophique à une éthique théologique n’est pas évidente, malgré le fait que, par rapport au handicap, craintes de fautes et culpabilités sont omniprésentes, et cela à tous les niveaux, des résidents et des familles aux professionnels et jusqu’à la société en général[1]. Si le sujet est traité, il l’est en général ou bien au niveau psychologique ou bien au niveau juridique. De fait, honte et culpabilité sont prises comme signes de maladie ou de délit. Être objectivement fautif, même sans avoir commis une faute, est inconcevable ; le terme de péché est aujourd’hui irrecevable et celui de la coulpe, culpabilité objective, tombé en désuétude (ce qui n’est pas le cas ni en allemand, « Schuld », ni en italien, « colpa »). Et pourtant, c’est ici que se pose tout l’enjeu des situations extrêmes devant lesquelles, comme souvent, il n’y a pas seulement (eu) faute et culpabilité (actuelle ou dans le passé, peut-être même au niveau du droit, donc potentiellement délit, voire crime), mais aussi dysfonctionnement, impuissance, non-maîtrise tels que surgit ce qui renvoie à ces anciens termes : l’échec de la toute-puissance et le reniement de l’échec (avec des justifications qui ne sont pas fausses, mais superficielles : on a tout fait, les moyens sont limités, il y a des règles, il y a encore d’autres résidents, si vous saviez, je veux bien, mais, il y a des limites, etc. etc.[2]).

Pour une éthique chrétienne (ou théologique), la limite de l’échec ainsi posée a une autre valeur ; derrière elle il y a une « méta-physique », un sens au-delà du simple échec, dont l’Évangile est porteur :

Martin Honecker dans son introduction dans l’éthique théologique, « Einführung in die Theologische Ethik » (de Gruyter, Berlin 1990), cite Alfons Auer :

« Der Christ ist Mensch wie jeder andere auch, es gibt für ihn kein anderes ethisches Alphabeth. Das Menschliche ist menschlich für Heiden wie für Christen. Aber der Christ steht aufgrund seines Glaubens in einem neuen Sinnhorizont. » (p. 22)

et Honecker poursuit :

« Der Christ ist Mensch wie jeder andere auch – das heisst : christliche und nicht-christliche Ethik begegnen sich auf dem Boden der Anthropologie. In der Anthropologie wird jedoch die Auslegung des Menschseins strittig. In diesem Sinne sind Grundaussagen christlicher Anthropologie wie Geschöpfsein, Sünde, Rechtfertigung als Befreiung, Gnade, Glaube auch Themen der Ethik. » (p. 22)

Le chrétien est être humain comme tout autre être humain, éthique chrétienne et éthique non-chrétienne se rencontrent sur le terrain de l’anthropologie. Mais pour la théologie s’ouvre derrière la limite humaine « un nouvel horizon de sens », « das neue Sein », l’être nouveau, dirait Paul Tillich, Giorgio Agamben parlerait de « l’eskaton ». C’est ce qui permet de vivre et d’accomplir ses obligations (la déontologie), dans le non-sens du quotidien en situation de handicap extrême. En bref, c’est l’amour, au-delà (non pas en dessus) de la loi.

En plus, au moins en théologie protestante, tout effort de résoudre les problèmes en deçà de cette limite ultime, « physiquement », aussi louable qu’il soit, ne justifie pas, ni l’effort, ni ceux qui le fournissent, en l’occurrence d’autant moins que nous sommes en situation extrême où, de toute façon, les problèmes ne sont jamais véritablement résolus. Comment vivre avec l’échec fondamental (qui nous met quotidiennement devant la question de la mort[3]) ? Ne pas vouloir l’admettre, ne pas en parler, ne pas le « thématiser », en faire un tabou est une voie commune, comme celle de chercher « LE » fautif, en projetant la « faute » les uns sur les autres. Si formalisation il y a, on est dans la psychologisation, la « pathologisation », la médicalisation ou  la juridisation.

En reprenant la ligne d’argumentation de Gerhard Ebeling, Martin Honecker nous rappelle l’échec fondamental de l’éthique même (la diffraction éthique d’un Georges Saulus, cf. plus bas) et écrit :

« Grundsätzlich spricht evangelische Theologie der Ethik jede soteriologische Wirksamkeit ab. Ethik wird hierdurch relativiert. Christliche Theologie als solche ist nicht Ethik. Sie unterscheidet – vor allem in der reformatorischen Theologie – zwischen Person und Werk, zwischen Täter und Tat, zwischen Glauben und Handeln. Die Ethik spricht den Menschen auf sein Tätersein an. Sie will ihn aktivieren. Vor dem Evangelium ist der Mensch rein Empfangender, passiv, Hörer. Für eine der lutherischen Tradition verpflichtete theologische  Ethik ist deswegen die Unterscheidung von Gesetz und Evangelium konstitutiv.

Darüber hinaus verschärft die Theologie das Phänomen des Ethischen aufgrund eines beispiellosen Wissens um die Radikalität der Macht der Sünde. Am Sündenverständnis scheiden sich theologische und philosophische Ethik. Die theologische Deutung identifiziert allerdings Sünde nicht mit Unmoral. Gerade die ethischen Hochleistungen des Menschen können nach dem Urteil des Neuen Testaments Sünde sein.

Die Theologie setzt Sünde mit fehlendem Gottvertrauen gleich. » (Marin Honecker, p. 29)

Devant l’échec de tout ce qui est formel  (institution !), c’est l’absence d’une confiance primordiale, – le manque de « confiance en Dieu », „ das fehlende Gottvertrauen“ -, qui est la faute fondamentale, la coulpe et le péché. J’ose faire le passage au résident : en dernier lieu, perdre la confiance en lui et ses ressources serait la culpabilité véritable, coulpe et péché, « pécher devant Dieu », qui lui, c’est de nouveau le dépouillement qui le manifeste, n’abandonne jamais.

Armin Kressmann 2011


[1] Sauf l’État : il ne peut jamais être coupable ou, autrement dit, avoir tort. Quand il a tort, il revendique la « raison d’État ». Dans le même sens, symboliquement, aucune institution, donc les établissements concrets non plus, ne peut admettre d’avoir (eu) tort. Ceci est inné au fait institutionnel (de loi), mon constat donc fondamental et non polémique, ni politique. Ce n’est que le passage au moral (la Loi), théologiquement à l’Évangile (changement de niveau encore plus radical), qui permet aux institutions concrètes de sortir de ce carcan.

[2] Il faudrait encore une fois renvoyer aux usages de la loi. Ces « excuses » tombent sous le deuxième usage.

[3] Le premier usage de la loi.

 

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