Significations du handicap mental : 4 Il s’agit d’opérations

Mais je suis en conséquence attentif à l’opérationnalité, la confirmation, « die Bewährung » (Karl Popper[1]), ce « qui se fait voir dans l’action » (Larousse en ligne ; 5.1.11), « l’ensemble des opérations qu’un outil permet d’exécuter » (Georges Saulus), ce que Daniel Diquemare décrit comme suit :

« L’opérationnalité, plus qu’une méthode ou un outil, est un état d’esprit. C’est d’abord et avant tout la volonté affirmée d’obtenir des résultats concrets et de lutter contre la fatalité (le sujet ne peut pas évoluer, nous n’avons pas les moyens de…).

C’est être assez humble pour accepter que sa disponibilité, sa spontanéité et son attention envers le bénéficiaire ne suffisent pas, pour reconnaître que notre objectivité naturelle est souvent limitée dans notre action, pour admettre que nous sommes incapables d’appréhender un sujet aussi complexe que l’être humain dans sa globalité sans méthode et le regard des autres, pour accepter que sa vérité n’est pas celle des autres et surtout qu’elle n’est pas meilleure.

C’est la conviction profonde que toute évidence ou idée reçue (sur les collègues, les usagers, les théories…) doit être vérifiée, que les divers outils mis à notre disposition peuvent nous être utiles, que seul le temps peut nous empêcher d’aller plus loin.

C’est percevoir pleinement l’intérêt des méthodes transversales, partager l’information et le savoir entre services. C’est une culture du débat constructif, exempt d’enjeux de pouvoir personnel, une recherche de complémentarité plutôt que de concurrence ou compétition.

C’est donc, de façon générale, se donner les moyens :

• de s’observer soi-même. Nous sommes nombreux à être convaincus, et de bonne foi, de notre respect et tolérance vis à vis des autres ;
• de mettre à sa place la dimension personnelle en situation professionnelle ;
• de diminuer sa subjectivité, notamment en ce qui concerne le filtre de nos observations et la projection de nos interprétations : dégager l’essentiel du secondaire ; distinguer causes, effets et corrélations ; diversité et adaptation des outils d’analyse… ;
• d’utiliser et de concrétiser sur le terrain plusieurs théories en évitant les approches conceptuelles monolithiques et « l’intégrisme théorique » ;
• de donner un sens à ses actes sur le moyen et le long terme, pour ne pas se laisser accaparer par la seule gestion de la vie quotidienne, c’est à dire se contenter de régler les situations au fur et à mesure qu’elles se présentent. » [2]

Georges Saulus parle de « transdisciplinarité », ma capacité et ma volonté d’enrichir ma compétence professionnelle de compétences, connaissances et savoirs d’autres disciplines.

Je m’inspire de et j’applique à moi-même et à ma pratique le modèle du triangle pédagogique, où je prends, mentalement, tantôt la place du sujet (ou objet de la dynamique de « formation »), tantôt celle de l’enseignant, tantôt celle de l’élève, mes interlocuteurs et partenaires, et notamment les résidents, patients, élèves auxquels je suis confronté dans ma pratique, prenant à tour de rôle les autres places. L’apprentissage fondamental, en ce qui me concerne, se fait au moment où, consciemment, je me trouve et me retrouve devant la personne mentalement handicapée et quand je découvre en la découvrant une part nouvelle de moi-même.

Par conséquent je suis pris par le mouvement d’une sorte de cercle ou de spirale herméneutique, souvent turbulent, parfois bloqué, entre situation et compréhension, où surgit de la vérité, mais jamais la vérité, celle-ci étant personne qui m’échappera toujours, exposé à ce que Klaus Berger appelle

« un apprentissage à une sensibilité à l’égard de ce qui est tu (‘verschwiegen wird’), et à l’égard de ceux qui injustement souffrent le plus. »[3]

Armin Kressmann 2011

[1] Logik der Forschung; Mohr, Tübingen 1976, p. 198ss

[2] Pluridisciplinarité et opérationnalité dans la conception des projets institutionnels ; in : Manager les équipes, Le travail social à l’épreuve du management, Les Cahiers de l’Actif, no. 314-317, 2002, p. 156s

[3] Klaus Berger ; Hermeneutik des Neuen Testaments ; Gerd Mohn, Güterlsoh 1988, p. 196