Significations du handicap mental 2 – Il s’agit de « profession »

Significations du handicap mental : 2 Il s’agit de « profession »

« Des théories ne se laissent pas vérifier ; mais elles peuvent faire leur preuve. » (Karl Popper[1])

Parler du handicap (mental) n’est pas faire de la science naturelle, comme les débats autour de la « Classification du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) » l’illustrent, même pas faire de la médecine. Le handicap est un phénomène complexe, résultat d’interactions multiples entre ce qu’est un être humain « naturellement » ou biologiquement et le milieu et le contexte dans lesquels il naît, grandit et vit.

Cependant, vivre et travailler avec des personnes en situation de handicap peut se faire aussi dans un esprit de recherche, la volonté de comprendre ce qui se passe, qui nous sommes, les uns et les autres, et pourquoi nous agissons et réagissons tel que nous le faisons.

« Qui es-tu, pour moi, et qui suis-je pour toi ? », n’est-ce pas une des questions des plus fondamentales du vivre ensemble, si ce n’est pas la plus fondamentale[2], fournissant les clés pour soigner la qualité de ce vivre ensemble ?

Au niveau de l’action, la discipline qui se demande et cherche « ce qu’il faut faire », par conséquent discipline de recherche, est la morale ou l’éthique[3] :

« La morale est d’abord un questionnement, une réflexion, une recherche. … Elle est un questionnement sur l’agir, une réflexion sur ce qu’il faut faire, une recherche de ce qui est bien ou juste. On répète souvent que la morale est la ‘science du bien et du mal’. Avant de suivre des normes, d’obéir à des commandements ou d’intérioriser des valeurs, il importe de les connaître, de les rechercher, de les découvrir. La morale suppose donc un effort de réflexion (exploration, analyse, comparaison, évaluation) et de création (innovation, prospective).

Recherche de ‘ce qu’il faut faire’, la morale est donc une recherche normative. Elle appelle une décision, une action. Elle cherche à orienter l’action, la décision. »[4]

Ma recherche, explicitée à travers ce site Internet « ethikos.ch », concerne « ce qu’il faut faire » avec des personnes en situations dans lesquelles on ne sait plus ce qu’il faut faire. C’est ainsi qu’on peut qualifier les situations de handicap lourd, sévère, profond ou extrême, termes utilisés par les différents auteurs.

Je me retrouve, au quotidien de mon travail, en situation d’éthique « expérimentale » et « professionnelle », où la recherche de ce qui est bon et juste ne trouve que des réponses par tâtonnement et un va-et-vient permanent entre l’action, la « flexion », et la ré-flexion, où toute théorie reste hypothétique (les milieux professionnels parlent de « pratique réflexive »), où l’éthique elle-même est brisée. Georges Saulus parle de « diffraction éthique ». En conséquence, ce que je propose et partage avec mes collègues et les lecteurs de ce travail, n’est pas une éthique fondamentale traitant des concepts de base au niveau d’un raisonnement moral dissocié d’un terrain quelconque, ni une éthique appliquée qui

« analyse des problèmes concrets dans une perspective normative »[5],

ni une éthique clinique ne concernant que les professionnels de la santé, – d’autant plus que les personnes dont il s’agit sont ce qu’elles sont, handicapées sûrement, mais pas forcément malades, folles peut-être, mais avec leur raison, voire raisonnement propre -, mais une éthique « professionnelle » de la recherche et de la rencontre de l’Autre et à travers lui de moi-même. C’est une éthique triplement professionnelle,

  1. Par un questionnement éthique professionnel
  2. Dans le champ professionnel qu’est celui du handicap mental
  3. Interpellant la conscience, les croyance et la foi en les invitant à se professer dans l’action professionnelle et la posture personnelle, donc autant privée, dans le face-à-face entre humains et devant ce qui nous est commun, que institutionnelle professionnelle

Le champ qui est le nôtre ne peut pas laisser indifférent, et le travail, quand il veut être professionnel et bien fait, mobilise toutes les ressources, autant professionnelles que personnelles, toutes les compétences physiques, psychiques, relationnelles et spirituelles. Il n’est pas un hasard qu’il se situe aussi à la marge des divers milieux professionnels, de la médecine, psychiatrie, des soins, à l’éducation jusqu’au pastorat, et n’est choisi par des professionnels que par conviction profonde et motivation forte ou « faute d’avoir trouvé mieux », donc comme boulot exercé pour d’autres fins que le bien-être des résidents.

Le secteur dans son ensemble se trouve « en marge », entre le privé et le public, une approche institutionnelle et une vision communautaire, le libéralisme et le communautarisme, des compétences techniques pointues et des convictions élémentaires, les soins de base et des questions ultimes sur la vie et la mort, l’impuissance et la toute-puissance, l’État et l’intime, les « anges et les démons ».

L’éthique dont il s’agit cherche tout simplement une meilleure compréhension de la personne (mentalement) handicapée et, vivant et travaillant avec elle, de moi-même ; et ceci est peut-être la même chose.

Il s’agit de la connaissance du mystère de la vie humaine, ici et maintenant.

« A la place de la traditionnelle conscience ‘digérant’, ingérant au moins, le monde extérieur …, elle (la phénoménologie) révèle une conscience qui ‘s’éclate vers’ (Sartre), une conscience en somme qui n’est rien, si ce n’est rapport au monde. »[6]

« Toute rencontre déloge : elle tire le sujets de ses représentations, dans la mesure où elle instaure une altérité radicale. »[7]

Armin Kressmann 2011


[1] Logik der Forschung; Mohr, Tübingen 1976, p. 198, trad. AK

[2] « Et vous, qui dites-vous que je suis ? » demande Jésus à ses disciples à un moment déterminant dans son cheminement, le tournant de son ministère d’enseignement vers la passion (évangile selon Marc, chapitre 8, verset 29 et parallèles). Cette question est donc clé herméneutique pour comprendre le vivre ensemble, devant Dieu, avec et sans Dieu.

[3] Deux termes qui disent en principe la même chose, une fois à partir du latin, une fois à partir du grec : mœurs, conduite de la vie, règles de conduite

[4] Guy Durand ; Bioéthique ; Fides, cerf, Montréal 1999, p. 83

[5] Guy Durand, p. 93

[6] Jean-Fraçois Lyotard ; La Phénoménologie ; puf, Paris 2004, p. 6

[7] Jean Calloud, François Genuyt ; L’évangile de Jean I ; Centre Thomas More, L’Arbresle 1989, p. 63

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.