« Une conception structurale du polyhandicap en envisage nécessairement la genèse comme un processus structurant, c’est-à-dire un processus de mise en structure des déficiences primitives et des incapacités induites. Le degré de prégnance de ce processus structurant varie dans le temps : il s’agit d’un gradient structural diachronique, auquel répond une conception structurale diachronique du polyhandicap. Il caractérise en quelque sorte la puissance d’une organisation structurale à se mettre en place.
Le gradient structural diachronique d’une structure est en proportion inverse de son gradient structural synchronique : ce dernier est très faible en début de développement et s’élève ensuite pour devenir, à la limite, maximal et stable dans le handicap constitué ; tandis que plus une structure est loin de son niveau limite d’organisation maximale et stable, plus son gradient structural diachronique est élevé, et inversement. Le processus développemental structurant déroule donc une succession de niveaux d’organisations structurales dont les gradients structuraux synchroniques sont croissants et les gradients structuraux diachroniques décroissants. » écrit Georges Saulus ; Modèle structural du polyhandicap ; Psychiatrie de l’enfance, vol. 51, no. 1, 2008, p. 163s
Essayons de comprendre ce qui est postulé :
1. Comme je l’ai déjà relevé dans mon article « La structure du handicap dans un modèle bio-psycho-social », là où G. Saulus parle de « gradient », nous devrions dire « degré », élément aussi présent dans son texte quand il parle de « degré de prégnance » de la structure (poly)handicap.
2. Aussi, la structure n’est pas réellement une structure de déficiences et d’incapacités, mais de capacités « résiduelles » qui se mettent dans le processus structurant en une structure ou organisation structurale (poly)handicap.
3. Cette structure ou organisation structurale (poly)handicap évolue selon un gradient, c’est vrai, mais elle a, en un moment donné, toujours un degré donné de structuration ou de prégnance structurale. Ce que G. Saulus nomme « gradient structural diachronique » est un degré structural qui évolue selon un gradient structural, – qui est toujours diachroniques, le temps étant l’abscisse, l’axe par rapport auquel le degré de prégnance est mesuré, le gradient indiquant l’inclinaison de la courbe résultante par rapport au temps (cf. schéma plus bas).
4. Le « gradient structural synchronique » est donc, comme je l’ai déjà dit, le degré de prégnance de la structure (ou « Gestalt »), équilibre entre deux forces, celle qui maintient la structure en place et celle qui la fait évoluer, c’est-à-dire changer, renforcer ou diminuer.
5. Nous devrions en conséquence parler de plusieurs structures, en l’occurrence au début de la vie au moins de deux, d’une « structure bébé normale » qui évolue vers une « structure adulte normale » et d’une « structure bébé (poly)handicap », – ayant un degré de prégnance fort proche de la « structure bébé normale » -, mais qui se maintient où se renforce même, au lieu de se différencier en « structure adulte normale », aboutissant en conséquence en « structure adulte (poly)handicapé », peu différenciée, plus figée, très différente de la « structure adulte normale ».
En reprenant les schémas de vulnérabilité, – tels que je les ai développés pour parler des soins palliatifs et la place de l’accompagnement spirituel -, nous pouvons mettre le degré de prégnance à la place de la vulnérabilité, comme une sorte de degré de vulnérabilité, une prégnance forte, – du type bébé ou polyhandicap -, laissant peu de marge à l’individu de réagir d’une manière différenciée aux sollicitations diverses, intérieures et extérieures, qui lui sont adressées.
Au début de la vie, autant en situation normale qu’en situation de (poly)handicap, le degré de prégnance est élevé ; il diminue, d’une manière plus forte en situation normale qu’en situation de (poly)handicap :
Dans un développement « normal » le degré de prégnance de l’organisation structurale des différentes capacités diminue fortement. Au début de la vie les différentes sphères se confondent, mais se différencient rapidement. Le gradient structural est grand :
Dans une situation de (poly)handicap prononcé, le degré de prégnance diminue plus lentement ; le gradient structural est par conséquent plus faible :
Dans un développement normal nous avons donc une différenciation des sphères de l’être humain, du bio-psycho-socio-spirituel, de ce que G. Saulus appelle « structure », que nous n’avons pas ou d’une façon beaucoup moins prononcée dans les situations de handicap sévère où le degré de prégnance reste beaucoup plus grand.
La question qui nous intéressera désormais dans notre contexte d’accompagnement global de personnes en situation de (poly)handicap est celle du rapport entre structure, degré structural ou de prégnance, gradient structural et spiritualité.
– Le spirituel, est-ce une sphère à part qui n’est liée aux autres sphères de la personne humaine que d’une manière beaucoup plus forte en situation de handicap sévère, mais dissociée dans une « structure adulte normale », tel que je l’ai développé dans mon article « Soins et spiritualité : la sphère du spirituel » ? Dans ce cas-là nous serions dans un modèle bio-psycho-socio-spirituel.
– Ou le spirituel, est-ce le jeu des forces structurantes, ce qui lie plus ou moins fortement les trois sphères du bio-psycho-social, donc ce qui tient la structure ensemble ?
– Le degré de prégnance pourrait-il être un indicateur direct ou indirect du spirituel, en tout cas du rapport de celui-ci avec le corporel ?
Armin Kressmann 2010
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