Comment parler d’éducation quand on accompagne des adultes ? ou « L’éducation des éducateurs »

Nous manquent les mots, en conséquence aussi les concepts, pour parler de « l’acte éducatif » dans l’accompagnement des personnes mentalement handicapées adultes. Comment peut-on parler d’éducation quand on accompagne des adultes ? Qui est à éduquer, à « conduire dehors », en une situation où celui qui est accompagné est ce qu’il est, trisomique, polyhandicapé, psychotique ou sourd-muet ? En général, toute tentative de vouloir le changer, d’accomplir un « miracle », est vouée à l’échec, pire, une attitude qui vise un tel résultat, souvent décrite comme approche « par objectifs », est contraproductive, voire maltraitante.

C’est un tragédie que la formation des éducateurs se fonde encore et toujours essentiellement sur le développement bio-psycho-social des enfants et ne parle que marginalement des adultes, où il ne s’agit pas d’abord de développement, mais de reconnaissance de la personne en tant que telle, telle qu’elle est, même si c’est peut-être vrai qu’elle « a l’âge mental d’un enfant de trois ou de sept ans ». Ce qui est passage pour l’enfant dans un développement continuel normal, est un état de fait pour une personne adulte mentalement handicapée. Elle est « comme ça », tout en ayant, évidemment, des potentialités, une « capabilité », de changer ou de « progresser » comme l’a tout adulte. Mais ne parlons plus « d’éducation ». N’a-t-on pas dépassé les méthodes pédagogiques de l’éducation et de l’enseignement pour les adultes dits « normaux », en faveur de méthodes adaptées aux adultes, ce qu’on appelle la formation des adultes ou « andragogie » (pédagogie des adultes). Pourquoi pas faire de même pour les personnes mentalement handicapées ? Malheureusement, au-delà du simple fait qu’ils sont encore « jeunes », trop jeunes parfois[1], la majorité des étudiants éducateurs/trices souhaite travailler avec des enfants et des jeunes, est alors dans un état mental tel que ce qui touche aux adultes leur est de toute façon éloigné.

Les conséquences sont graves : au lieu de s’adapter aux situations de handicap dans lesquelles vivent et sont exposées les personnes mentalement handicapées, l’acte « éducatif » cherche à changer la personne d’abord, au lieu d’intervenir en priorité sur la situation ; les risques d’abus et de maltraitances sont grandes.

Qui donc est à « éduquer » quand il s’agit d’accompagnement des personnes mentalement handicapées adultes, davantage, qui devrait être l’éducateur de qui ?

C’est l’éducateur/trice qui est le/la premier/re qui est « en situation d’éducation » ; son savoir et ses compétences professionnels devraient être justement aboutir en une capacité telle qu’il/elle sache s’adapter à la situation dans laquelle se trouve la personne handicapée, en la faculté de prendre son angle de vue et de l’accompagner en ce qu’elle vit dans cette situation, ainsi qu’à partir de là en l’art de transformer la situation de sorte que la personne handicapée, exposée et confrontée à ses souffrances, ses angoisses, ses émotions, ses craintes et ses joies, puisse « supporter » ce qu’elle vit et s’y épanouir, ou y épanouir ses capacités. Rejoindre le résident, le mettre au centre des préoccupations est la capacité de se décentrer et de faire des préoccupations de la personne handicapée ses propres préoccupations, et non pas, préoccupé par les préoccupations de la personne handicapée, agir à partir de ses préoccupations, celles de l’éducatuer/trice. C’est l’éducateur/trice qui doit s’éduquer, et la distance « pédagogique, thérapeutique ou éducative » est cette capacité de pouvoir se décentrer, non pas pour prendre distance de ce que vit le/la résident/e, mais de pouvoir s’y mettre d’abord, de « com-prendre » ce qui s’y passe, pour accompagner (« éduquer ») la personne handicapée dans une voie de sortie des souffrances qu’elle ne peut pas trouver et emprunter seule.

Nous avons aujourd’hui des outils pour comprendre ce qui se passe ; en quelques mots :

Là où dans un développement normal la structure initiale forte des différentes capacités et incapacités évolue rapidement vers une structure plus légère où les différentes capacités sont dissociées les unes des autres, elle se fige en situation de polyhandicap sévère, – comme pour beaucoup de personnes mentalement handicapée d’ailleurs -, de sorte que les différentes fonctions humaines restent très liées les unes avec les autres tout au long de la vie de ces personnes. Le gradient structural synchronique, dès le départ, est haut (là où en situation normal il est faible) et il diminue peu, le gradient structural diachronique est faible (là où normalement il est fort au départ) et il reste faible, voire diminue même.

Nous en parlerons dans un futur article, avec ces concepts de structures et de gradients introduits par Georges Saulus.

Armin Kressmann 2010


[1] Tendance qui risque de s’aggraver avec les nouvelles formations dans les « métiers de l’éducation » ; pour un/e jeune de 16 ou 20 ans il faut, mais je ne l’exclue pas, une maturité mentale intérieure exceptionnelle pour bien recevoir les préoccupations d’une personne mentalement handicapée de 30, 40 ou 60 ans.

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