« Ta faiblesse m’agresse » : Handicap – traumatisme et culpabilité

L’apparition dans une famille d’un enfant handicapé provoque un traumatisme et, avec celui-ci, de la culpabilité :

« Une famille au sein de laquelle naît un enfant non conforme (trisomique, arriéré, autiste, handicapé moteur, etc.) voit … immédiatement se dissoudre l’essentiel de son identité communautaire, sociale et même familiale. » (Jean-Paul Gaillard ; L’éducateur spécialisé, l’enfant handicapé et sa famille ; esf, Issy-les-Moulineaux 2008, p. 64)

« Lorsqu’un couple met au monde un enfants non conforme (trisomie, tare génétique, autisme primaire), c’est l’univers qui, d’un seul coup, s’écroule sur cette femme et cet homme. Quelque chose se brise en eux, dans le même temps que tout leur entourage change de comportements à leur égard : cet enfant non conforme ne leur permet pas de se projeter en lui, il ne peut pas porter leurs espoirs de vie meilleure, ni leurs désirs de réparation de leur propre enfance. Pire, sa simple existence leur montre qu’ils sont mauvais, incapables, porteur d’une tare. … L’entourage, quant à lui, fait apparaître des bergers : les uns leur signifient durement que, en produisant ainsi de la non-conformité, ils ont trahi le mythe communautaire ; ils leur font payer cette trahison en les fuyant, en les critiquant, en les isolant ; les autres, cherchent à les ramener dans le troupeau, les entourent d’attentions apitoyées et larmoyantes, les abreuvent d’injonctions normalisatrices et les enfoncent dans leur malheur. Ces parents d’enfants non conformes développent alors une névrose post-traumatique : peu à peu, ils renforcent leur isolement social, se montrent facilement agressifs, exigeants, capricieux en famille, au travail, en société et avec les éducateurs et les soignants, deviennent insomniaques, anxieux, phobiques, obsessifs .

… Nombreux sont les couples qui n’y survivront pas. » (p. 66s)

« Paradoxalement, la faiblesse et la vulnérabilité du sujet handicapé sont une provocation, une incitation à l’agression. … Le handicap inflige à l’autre un choc émotionnel qui peut être ressenti comme une forme de violence, provoquant une véritable blessure narcissique qui atteint de manière intolérable l’image que nous avons de l’intégrité humaine. C’est de cela que le sujet, sans le vouloir et bien malgré lui, est responsable.

Dans la clinique, on voit cette responsabilité éthique apparaître, d’abord dans les familles, sous forme de culpabilité. Celle des parents, honteux d’avoir mis au monde cet enfant qui n’aurait pas dû être. La culpabilité n’est pas qu’individuelle, elle n’est pas qu’une affaire personnelle … cette culpabilité comporte toujours une dimension anthropologique. » (Simone Korff-Sausse ; Responsabilité éthique du point de vue de la personne handicapée elle-même ; in : Handicap : l’éthique dans les pratiques cliniques ; érès, Ramonville Saint-Agne 2008, p. 79)

Ce que les psychanalystes nous disent, et l’expérience le confirme, est qu’il y a un enchaînement des questions qui surgissent avec la naissance d’un enfant handicapé ou la présence même d’une personne handicapée, un trait qui va de la situation singulière tout de suite à la condition humaine même : qu’est-ce l’homme et qu’est-ce qui fait de lui une personne, un individu digne d’humanité et de personnalité comme tous les autres ? Ce qui semble être psychologique au départ, devient fondamentalement éthique, anthropologique, philosophique, voire théologique : une question de faute, théologiquement « péché », et de culpabilité objective, donc de « coulpe ». Toute argumentation à l’intérieur de cet enchaînement, comme le dit Jean-Paul Gaillard, ne pourra « qu’enfoncer dans la malheur ». Job, avec ses « amis », les disciples de Jésus face à l’aveugle de naissance l’illustrent. L’enchaînement ne se laisse briser que par ce qu’on pourrait appeler une contestation, un véto ou un barrage axiomatique ou a priori, ultime au départ déjà :

Job, en s’adressant à Dieu ?

« Ai-je péché ? Qu’est-ce que cela te fait … ? En quoi te suis-je à charge ? » (Job 7,20)

« S’il existait entre nous un arbitre pour poser sa main sur nous deux,

Il écarterait de moi la cravache de Dieu, et sa terreur ne m’épouvanterait plus.

Je parlerais sans le craindre.

Puisque cela n’est pas, je suis seul avec moi. » (Job 9,33-35)

« Moi, c’est au Puissant que je vais parler,

C’est contre Dieu que je veux me défendre. » (Job 13,3)

« Il n’y avait pas de violence en mes mains,

Et ma prière était pure. » (Job 16,17)

« Ah ! si je savais où le trouver,

J’arriverais jusqu’à son trône.

J’exposerais devant lui ma cause,

J’aurais la bouche pleine d’arguments.

Il sait quel chemin et le mien,

S’il m’éprouve, j’en sortirai pu comme l’or. » (Job 23,2.3.10)

Et la réponse de Jésus au scandale de la cécité :

« Ni lui ni ses parents (ont péché). Mais c’est pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui. »

Le commentateur de la TOB – La Traduction Œcuménique de la Bible, écrit :

« Jésus écarte les théories courantes sans se soucier d’en proposer une nouvelle. Il constate le fait de l’infirmité et agit en vue d’assurer à cet homme sa pleine intégrité. »

L’histoire du « fou de Gérasa » (Marc 5,1-20) nous montre aussi que handicap il peut avoir sans cause, et réintégration sans guérison physique ou primaire, par le seul courage de celui qui s’est trouvé en situation de handicap à affronter de nouveau ses concitoyens, après la rencontre avec Jésus de Nazareth.

Armin Kressmann 2010



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