Suicide et directives anticipées

Après deux semaines à domicile pour se remettre de sa grève de la faim, Bernard Rappaz, le chanvrier condamné à 5 ans et 8 mois, est de retour en prison. La conseillère d’État valaisanne Esther Waeber-Kalbermatten ne veut plus se laisser mettre sous pression :

« S’il devait recommencer sa grève de la faim et refuser toute réanimation, je respecterai sa volonté et le laisserait mourir. »

24h heures ; Lausanne 22-24 mai 2010, no. 11

Une telle position est-elle éthiquement tenable pour une représentante de l’État ?

Bernard Rappaz semble avoir rédigé des directives anticipées « stipulant qu’il ne voulait pas être réanimé ou nourri artificiellement s’il devait tomber dans le coma » écrit 24 heures.

Des directives anticipées entrent ainsi en conflit non seulement avec une position éthique qui récuse le suicide, Kant par exemple, mais aussi avec le devoir de l’État de protéger la vie de ces citoyens et, tout particulièrement, de ses détenus. Le contrat que sont les directives anticipées l’emporte sur la morale. Que l’État ne juge plus le suicide est une chose, mais qu’il le cautionne comme un droit quasi absolu me semble problématique. Sinon, pourquoi empêcher les prisonniers en général à s’ôter la vie ? Si directive anticipée il y avait, ne serait-ce pas leur droit ?  Ou tous ces jeunes qui font des tentatives de suicide, laisse-t-on les faire désormais, sous condition, encore une fois, que directive anticipée il y a ? Pourquoi encore lutter contre l’anorexie ou des comportements à risque ? Parce que les jeunes sont inconscients ? Mais ils sont majeurs, dès 18 ans …

Qui pousse l’autonomie et l’autodétermination à l’extrême devient impitoyable et déshumanise le vivre ensemble, la médecine et les soins.

« La santé est un bien précieux. »

… écrit Madame Waeber-Kalbermatten sur son site Internet (consulté le 22.5.2010)

Oui, la santé est trop précieuse pour que nous tombions dans le piège que nous tend Bernard Rappaz en abusant de cet instrument précieux que sont les directives anticipées, là où elles ont leur place : quand se pointent la fin de la vie et la limite ultime de la médecine, au-delà de la volonté humaine et de ce qui est de notre pouvoir.

Et les directives anticipées ne nous déchargent pas de notre devoir moral, ou éthique si vous préférez, c’est-à-dire de penser, et parler, et chercher, et partager, et douter, et délibérer, et douter de nouveau, quand une situation tragique et un dilemme concret se présentent.

Les directives anticipées, comme tout texte, demandent de l’interprétation, en situation concrète. Sinon c’est du fondamentalisme, ce qu’on reproche au croyants qui lisent leurs textes fondateurs, bible ou coran, d’une manière littérale.

« Ce que les directives anticipées ne permettent pas … »

écrivent Laurence Déramé et al. dans la Rev. Med. Suisse 2008, vol. 4, p. 468, entre autres :

« … La réponse à toute situation. »

Avoir la réponse avant que la question se pose, il y a de nouveaux fondamentalismes et dogmatismes qui nous guettent, me semble-t-il, modernes, mais pas moins dangereux que les anciens quand on y sacrifie une vie.

Armin Kressmann 2010

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