Spiritualité : âme et liberté

Quand on parle d’esprit et de spiritualité, inévitablement, on est amené à penser à l’âme, qui, déjà par son étymologie, est de la même catégorie.

Le mot « âme » vient de l’indo-européen « ani-, ane- » qui véhicule une idée de souffle[1], « respirer, souffler », « animus » en latin, « atmen, hauchen » en allemand. Il est intéressant de relever que la même racine « an- » comme onomatopée désigne les an-cêtres, « die Ahnen » en allemand, et signifie en soi comme particule démonstratif « là, de l’autre côté », enfin « l’autre ». Nous sommes donc dans le champ de l’altérité, de ce qui anime et de ce qui vit, « l’animal ».

François Vouga et Jean-François Favre dans leur livre « Pâques ou rien »[2] donne une définition intéressante de ce qu’est l’âme.

Ils partent des paroles de Jésus en Marc 8,34-37 :

« Si quelqu’un veut venir à ma suite,

qu’il se renie lui-même,

qu’il prenne sa croix

et qu’il me suive !

Car

si quelqu’un veut sauver son âme,

il la perdra.

et si quelqu’un perd son âme,

–          à cause de moi

–          et de la bonne nouvelle,

il la sauvera.

Car

à quoi sert-il qu’un homme

gagne le monde entier

et perdra son âme ?

Car

que donnerai un homme

en échange de son âme ? »

Puis, indirectement, ils définissent l’âme comme :

« la liberté de (l’individu) que la confiance en Dieu lui offre à l’égard de lui-même. »

Ils disent :

« Jésus met en garde Pierre, ses disciples et les foules contre une existence qui se réduirait à une survie privée d’âme. L’appel de Jésus s’adosse à la promesse que quiconque, par la grâce et la force miraculeuse de la confiance, fait don de ce qu’il a reçu gratuitement.

L’opposition de ces deux logiques est la raison pour laquelle Jésus, en refusant descendre de la croix, comme le luis suggèrent les moqueries des gens, sauve son âme … »

L’âme est donc une liberté, et perdre son âme est perdre la liberté. Mais c’est une liberté donnée et reçue, non pas un droit et un dû, mais un cadeau, un don, conséquence d’une confiance accordée à l’autre. Nous ne sommes pas dans le régime de la loi et des droits, – et des institutions, donc du religieux et de la religion -, mais dans celui de la grâce, donc de la foi, la « con-fiance », – et de l’Église universelle et invisible[3]. Nous ne sommes pas dans l’institutionnel, mais dans le spirituel.

Ainsi, il y a un paradoxe difficilement recevable dans une pensée moderne qui se veut libérale, mais qui conçoit la liberté comme un droit (alors comme religion !). La liberté fondamentale, celle qui « sauve l’âme », est une hétéronomie autodéterminée (je rejoins ici Wittgenstein), donc une autonomie qui choisit librement son hétéronomie, une autonomie qui se détermine entre une hétéronomie qui « refuse sa croix », le risque de perdre son monde, et veut « sauver son âme », sauver son monde, – et  qui perd en faisant ainsi son âme -, et une hétéronomie qui « assume sa croix » et fait confiance à l’instance qui a vaincu la croix en passant librement par la croix ; celui-là sauvera son âme, c’est-à-dire sa liberté. Comme le premier est hétérodéterminé par le monde qu’il ne veut pas lâcher, son âme qu’il ne veut pas remettre à l’autre, en refusant faire confiance, le second reste libre de pouvoir s’autodéterminer à chaque fois, quand il sera de nouveau devant le choix entre son monde, qu’il veut à tout prix garder et qui le détermine, et la liberté de choisir son hétéronomie, un autre monde, un autre régime. C’est en lâchant mon monde que je sauve ma liberté, mon âme. C’est par la passivité, – le lâcher prise, « die Gelassenheit », la faculté de lâcher -, que je garde la liberté d’action.

Autonomie est toujours une hétéronomie choisie. Et la seule hétéronomie qui rend libre s’appelle Dieu. En Jésus Christ il a porté sa croix et sauvé mon âme, ma liberté. Et ma liberté est de m’autodéterminer pour lui.

Armin Kressmann 2010


[1] Dictionnaire des racines des langues européenne ; Larousse, Paris 1949 ; Julius Pokorny ; Indogermanisches etymologisches Wörterbuch ; vol. 1 ; Francke, Bern 1959

[2] Labor et Fides, Genève 2010, p. 43s

[3] Ce qui ne veut pas dire que soient exclus les croyants faisant partie des églises institutionnalisées.

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