L’assistance au suicide et le procéduralisme (éthique du dialogue)

Le procéduralisme ne se prononce pas sur la validité des normes, mais sur la manière d’amener les arguments pour ou contre elles. Devant la pluralité des opinions, il mise sur la capacité de communication humaine en vue d’une intercompréhension. Il compte non pas sur une rationalité instrumentale, mais communicationnelle. Moralement juste est ce qui pourrait aboutir en un commun accord dans une procédure de communication juste, c’est-à-dire, devant la pluralité des positions, dans une procédure démocratique[1]. La norme ou le devoir (« déontologique ») concerne la manière de traiter les conflits éthiques et d’arriver à un accord.

Sur cette base, la question du suicide et de l’assistance au suicide qui nous préoccupe n’a pas de réponse simple et déductible (d’un but visée, d’une valeur défendue, d’une vertu à atteindre ou d’une norme ou d’une loi à respecter). Les personnes concernées ne peuvent que confronter leurs arguments et leurs préférences éthiques divers, et cela dans un cadre qui garantit l’expression de la parole de chacun, chacune aussi libre que possible.

En conséquence, le résultat de la confrontation sera ouvert. En dernière instance le patient, s’il en est capable, décidera par rapport à la question de mettre un terme à sa vie, son environnement, – famille, institution, hôpital, médecins, associations comme EXIT, etc. -, par rapport à la question de l’assistance. Au-delà du cas particulier, le débat sera mené au sein du « public », c’est-à-dire de tous ceux et celles qui sont ou qui se sentent directement ou indirectement concernés par les problèmes, débat nourri par une « enquête » publique[2], dans laquelle se succèdent hypothèses de travail, expériences, théories et révision de l’ensemble, à l’image d’une expérimentation scientifique. Ainsi, politique et éthique se confondent. Dans un tel processus les conceptions sur des questions comme le suicide et l’assistance au suicide évoluent et peuvent changer avec le temps. Ce qui compte, c’est le débat mené dans les règles de l’art (« Streitkultur »).

C’est sous ce chapitre du procéduralisme que je classe les commissions et les comités d’éthique, lieux intermédiaires entre personnes directement touchées et le public, où ce même public est représenté, – « experts » et « laïcs » -, pour approfondir les enjeux posés par une problématique d’ordre éthique en vue de décisions et de choix à prendre et à faire dans les instances compétentes. Pour moi, ces lieux ne sont pas décisionnels ; ils préparent les dossiers pour les choix éthiques particuliers d’un côté, les décisions politiques pour la législation et la jurisprudence de l’autre côté.

Armin Kressmann 2004

« L’assistance au sucicide 12 : l’éthique des devoirs (déontologique)

L’assistance au suicide 14 : résumé des différentes grammaires éthiques »


[1] cf. p.ex. John Dewey, Le Public et ses problèmes, Farrago 2003 ; Jürgen Habermas, Moralbewusstsein und kommunikatives Handeln, Frankfurt 1983 ; Erläuterungen zur Diskursethik, Frankfurt 1991

[2] cf. note précédente

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