Assistance au suicide et institutions sociales : quelles valeurs mettre en avant ?

La situation telle qu’elle peut se présenter concrètement dans un établissement où le médico-social et le socio-éducatif ainsi que le privé et le public se côtoient et interagissent est complexe ; une multitude de facteurs et de valeurs qui sont en jeu, se confrontent et se contredisent parfois :

–          Le respect et la protection de la vie

–          Suicide ou « autodélivrance » ; respect de la liberté, c’est-à-dire principe d’autonomie, ou « délivrance », c’est-à-dire principe de bienfaisance et de non-malfaisance ? Bioéthique et paternalisme :

  • L’autonomie et le droit à l’autodétermination du patient
  • L’acharnement thérapeutique
  • La ou les souffrances et les soins palliatifs

–          La dignité de la vie et la dignité de la mort, ou la question de mourir dans la dignité ; et encore : « dignité de la mort », est-ce bien formulé ; ne devrait-on pas dire « dignité de la personne » vivant devant la mort ?

–          La « lucidité » ou la capacité de discernement

–          L’assistance au suicide ou l’accompagnement lors du suicide ? Jusqu’où aller dans l’assistance ? Et celui ou celle qui ne pourra pas ou plus « ingérer lui/elle-même la substance mortelle » ?

–          Par rapport à l’incitation et l’assistance, quels sont les mobiles ? La question des « mobiles égoïstes » ; assistance au suicide et/ou euthanasie.

Des organisations comme EXIT ou Dignitas, sont-elles toujours dans le cadre légal ? Et si « l’euthanasie » ou « la dignité de la mort », voire le « suicide philosophique » était le mobile ? … Voire « l’euthanasie eugénique »[1] ; ose-t-on encore l’évoquer, ou doit-on le faire même, surtout dans une fondation s’occupant de handicapés mentaux, de « fous et de faibles d’esprits » ? (ou est-ce un sujet qui ne joue plus de rôle dans ce contexte et qu’on devrait plutôt réservé au débat sur l’avortement et le diagnostic prénatal ou préimplantatoire ?)

–          Le principe de précaution

–          L’individu et le contexte ; la famille, les proches, l’institution, le personnel, la « société »

–          Le privé et le public ; la question d’un hôpital public à l’intérieur d’une fondation privée financée largement par des fonds publics ; le risque de conflits de valeurs

  • Libéralisme versus communautarisme
  • Une institution privée ou une institution d’intérêt public face à d’autres organismes privés comme EXIT : leurs missions respectives peuvent diverger voire s’opposer

–          Loi(s) et morale(s) ; à quel niveau faut-il « réglementer » ? Au niveau de la loi publique, au niveau déontologique des différents corps professionnels, au niveau des chartes de fondations privées reconnues par l’Etat (finances, directives, missions, démarche qualité, etc.) ou par la morale et les commissions d’éthique ? Et ce que je qualifie de « silence qualifié » ou « une morale protestante » : faut-il tout régler par une loi ou un règlement ? Qu’en est-il de la question de la transgression de la loi (ou de l’ordre moral généralement reconnu) et de la responsabilité personnelle[2] ?

Les grands enjeux où se jouent les décisions à prendre dans les situations concrètes comme celle que j’ai présentée me semblent être :

1)     L’autonomie du patient ou du résident, conditionnée par sa capacité de discernement, versus la bienfaisance (la non-malfaisance) qui prime encore dans la déontologie médicale suisse (héritage paternaliste se fondant sur le Sermon d’Hippocrate).

2)     La dignité de la personne souffrante, s’exprime-t-elle d’abord par sa liberté, par son droit à l’autodétermination ou plutôt à travers l’écoute et la réception de ses douleurs et de ses angoisses et, en conséquence, par une réponse adéquate au niveaux du traitement des douleurs et des soins palliatifs ?

3)     Dans la souffrance (une sorte d’hétéronomie), quelle est la capacité d’autodétermination ?

4)     La question du public et du privé, c’est-à-dire plus philosophiquement du principe libéral (l’Etat libéral) face à une vision plus communautariste (la fondation avec ses secteurs divers).

5)     La question du lieu de vie, où le suicide entre dans la sphère du privé, et du lieu de passage qu’est un hôpital, qui est, de surcroît, public.

Armin Kressmann 2004

« Assistance au suicide 6 : EXIT et les institutions sociales

L’assistance au suicide 8 : l’utilitarisme »


[1]cf. les réflexions de Jürgen Habermas à ce sujet, Die Zukunft der menschlichen Natur. Auf dem Weg zu einer liberalen Eugenik?, Frankfurt 2001, 2002

[2] cf. „L’affaire Hämmerli“ des années 80 à Zurich

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