Quelles sont les conséquences du déficit d’autonomie et de la mise sous tutelle, « l’interdit » selon la définition du Code civil ?
L’autonomie du patient ou du résident gravement atteint dans le « modèle Moeckli » :
Quand l’autonomie du patient ou du résident est gravement déficitaire et quand ses intérêts ne sont pas fortement portés et défendus par son représentant légal, le risque est réel qu’il soit coupé du débat entre le privé, c’est-à-dire lui-même, et le public, l’Etat payeur, et que l’institution, si elle n’est pas consciente du danger et fait tout pour l’éviter, ne fonctionne plus avec le souci d’autonomie du patient ou résident. Ce qui risque de se passer est que des mécanismes d’autoconservation de l’institution prennent le dessus, que le souci de pérennité l’emporte, que les intérêts du personnel passent devant ceux des résidents, etc. Finalement, l’institution pourrait se retrouver seule devant l’Etat, où une sorte de court-circuit s’installe, un dialogue non pas entre le privé et le public, mais dans une zone grise de publics et parapublics, entre public et parapublic. On pourrait finalement se passer des patients et des résidents, qui eux ne dérangeraient que le bon fonctionnement entre le public et le parapublic. Des tendances voire des dérapages de ce type sont connues[1].
De l’autre côté, du côté « normal » de tous ceux et celles qui ne sont pas « interdits », des « citoyens » plus ou moins capables de gérer leurs affaires, qui peuvent plus ou moins se passer de soins et secours permanents et qui ne menacent pas trop la sécurité d’autrui, on peut aussi se poser la question de l’autonomie. Dans quelle mesure sont-ils, eux, capables de discernement dans une situation de maladie grave, de détresse, ou tout simplement en général, dans leur quotidien ? L’autonomie, se définit-elle négativement par le fait qu’autonomes sont tous ceux qui ne sont pas « interdits », indépendamment de leur autonomie, capables sont ceux qui ne sont pas déclarés incapables, ou veut-on avoir un critère positif, une capacité d’exercer une sorte d’autonomie, soit-elle kantienne, rawlsienne ou autre, personnelle, politique ou morale ? Et si on en veut, laquelle ?
D’avance, en tout cas légalement, nous pouvons dire que ceux qui ne sont pas déclarés incapables sont considérés comme autonomes. Mais dans la pratique médicale, ce critère n’est pas d’une grande aide, parce que, par la loi aussi, les professionnels sont tenus, pour tout acte qui touche à l’intégrité physique ou psychique du patient ou du résident, d’acquérir le consentement libre et éclairé, qui lui n’est pas lié à l’autonomie légale, mais à l’autonomie morale : l’acte proposé, est-il bien ou mal, pour moi, patient, est-ce que j’en veux ou non ? Est-ce que je comprends ce qui m’arrive, ce qu’on me propose ? Cette autonomie est liée au développement du jugement moral et la réalité nous montre que l’individu passe par des phases de plus ou moins grande autonomie et que, réellement, peu nombreuses sont les personnes qui sont vraiment « autonomes », dans le sens kantien, aptes à agir selon des lois qu’elles se donnent elles-mêmes et auxquelles elles attribuent une validité universelle.
Armin Kressmann, mémoire en éthique, 2005
[1] Prenons un exemple simple, les salaires. Ceux-ci sont durement négociés pour les collaborateurs et défendus devant le public qu’est l’État. Mais celui-ci ne se mêle pas de la politique salariale des travailleurs handicapés et chaque institution mène la sienne, ce qui amène à des différences considérables d’une institution à l’autre, autant dans la vision de rémunération des travailleurs handicapés (la symbolique du travail et de la productivité) que dans les faits, l’argent versé aux résidents et/ou travailleurs.