Spiritualité et spiritualités : santé ou « diététique » spirituelles

Spiritualité définitions

Spiritualité et spiritualités

Une spiritualité saine, qu’est-ce que c’est ?

Existe-t-il des critères et des indicateurs ? Si oui, lesquels ?

Comme spiritualité et institution ont un lien entre elles, – le religieux comme spiritualité institutionnalisée, l’institutionnel comme le cadre ou les règles du jeu, le spirituel étant le jeu lui-même -, les deux en ont aussi avec ce qui est physique, matériel et corporel[1].

Il existe une réalité physique, la nourriture, qui peut nous servir de métaphore[2], – voire d’analogie[3], ce serait à étudier -, pour illustrer que la spiritualité peut être saine ou malsaine, comme une alimentation peut l’être, l’un ou l’autre. En alimentation, la discipline qui étudie la santé d’un régime s’appelle diététique[4] :

–         Qu’est ce que c’est une alimentation équilibrée ?

–         Quels sont les nutriments dont le corps humain a besoin ? En fonction des activités physiques, de l’état de santé, de l’âge, des situations de vie (puberté, grossesse, etc.)

–         Dans quelle proportion ces nutriments se trouvent-ils dans les différents aliments ?

–         Les différents bilans : bilan énergétique, bilan en matières grasses, – acides grasses saturées, non-saturées -, glucides, – amidon, sucres -, protéines, vitamines, etc.

–         Régimes alimentaires pour maigrir, grossir, trouver ou retrouver un équilibre

–         Comment cuisiner pour que la qualité des produits soit maintenue ? etc.

« Cuisiner, c’est assumer ses responsabilités. Cela détermine qui nous sommes, notre rapport avec nos semblables et notre environnement. »[5]

Comme il faut nourrir le corps, il faut aussi nourrir l’âme. Et comme pour le corps,  il y a aussi pour l’âme des régimes sains ou malsains, des spiritualités équilibrées et des spiritualités non-équilibrées. Toute activité humaine a une dimension spirituelle, plus ou moins grande, et cette spiritualité peut être bonne ou mauvaise. Comment l’évaluer et mesurer ? Selon quels critères ?

Je dis volontiers que toute institution sociale est responsable de la « diététique spirituelle ». Elle doit être consciente de certaines règles et les appliquer. Les régimes spirituels offerts doivent être équilibrés et répondre à quelques principes fondamentaux. Par contre, toute institution devrait aussi rester libre de choisir le type de « gastronomie spirituelle » qui lui convient et qu’elle veut offrir, « la cuisine, les menus, les plats spirituels », donc les préférences et l’art spirituels, appartiennent aux institutions, aussi longtemps qu’ils correspondent aux « principes diététiques ». Le rôle de l’Etat, à travers une instance de régulation telle que nous l’avons imaginée dans les chapitres précédents, ne serait que de s’assurer que ces principes sont respectés. Cuisine chrétienne ou anthroposophique, protestante ou catholique, n’importe en soi ; « institution laïque »[6], dans cette approche, voudrait dire, offre diversifiée, tout est possible chez nous, en fonction des besoins et des préférences de nos résidents, sous condition que ce qui se pratique, encore une fois, n’est pas malsain.

Dans ce qui suit, j’essaie d’esquisser ces « principes d’une spiritualité équilibrée »[7], en résumant et développant quelques-uns des propos des auteurs cités. Christoph Müller les ramène à :

–         Le quotidien

–         La dignité humaine

–         L’empathie

–         La résistance

–         La complainte

–         Et l’humilité

Ce à quoi nous devrions être attentifs est :

–         Une spiritualité qui est en rapport avec tous les aspects de la vie individuelle et collective, avec comme finalité un bien-être global, sans être totalitaire, c’est-à-dire sans vouloir soumettre tout aux mêmes critères de foi ou de conviction. Le quotidien et le transcendant s’articulent, de sorte que des réalités qui transcendent le quotidien se ressentent et prennent forme, dans le quotidien, et que finalement le quotidien devienne en quelque sorte transcendant. Il y a encore plus que la quotidienneté, au sein du quotidien, un surplus, des perspectives, un avenir possible, l’espoir de dépasser les difficultés et les crises.

« Se sortir du traintrain quotidien pour voir qu’il y a encore autre chose que le traintrain quotidien ; la religion, mais pas seulement la religion. C’est la curiosité, chercher autre chose. » (Jacques)

–         Une spiritualité qui rappelle la dignité humaine, « l’homme », « der Mensch » comme personne, personne unique, toujours et d’une manière inconditionnelle, au-delà de tous les problèmes « qu’il pose ou qui se posent avec lui », l’être humain, l’individu comme finalité en soi, ne jamais réductible à ses seuls problèmes. L’homme n’est jamais qu’un cas. En conséquence une spiritualité avec un « impact éthique » et avec des conséquences pour la mission que se donne une institution. Alors une spiritualité qui fait son possible pour in-stituer et ré-in-stituer la personne en ses droits et ses libertés, tout en lui rappelant ses responsabilités et ses devoirs, donc une spiritualité qui confirme ou restaure l’intégrité de la personne, corps, âme et esprit, au-delà des défaillances de ce corps, cette âme et cet esprit-là.

–         Une spiritualité sensible à la souffrance, au mal et aux injustices, donc aux scandales que ceux-ci représentent, une spiritualité qui ne s’y fait jamais, une spiritualité qui y résiste et qui les dénonce, sans pourtant réduire les personnes à ces seuls scandales, donc toujours avec empathie pour l’individu et solidaire avec lui, dans sa situation individuelle et personnelle.

–         Une spiritualité qui est un appel, et une réponse à l’appel, pour un engagement constructif pour la justice et la paix, ce que Helmut Gollwitzer a appelé la « diaconie universelle ».

–         Une spiritualité qui compte sur les ressources d’autrui, ouverte à l’expérience spirituelle que l’autre fait et à l’interprétation qu’il en donne, même à l’intérieur d’une spiritualité commune définie et donnée. Une spiritualité ouverte à d’autres spiritualités et respectueuse à leur égard, une spiritualité qui est ouverte au dialogue, sans estomper les différences.

–         Une spiritualité sans culpabilité, même quand « coulpe »[8] il y a ; mais une spiritualité qui assume sa « coulpe » quand elle se rend coupable.

–         Une spiritualité qui connaît sa limite, une spiritualité humble qui ne se substitue pas aux autres sphères, le politique, le juridique, l’économique, le scientifique, etc., mais qui se permet à les interpeller si nécessaire. Par là, aussi une spiritualité qui sait se relativiser et se regarder avec distance et humour, qui sait qu’elle défend une  « avant-dernière réalité » et qui ne se prend pas comme vérité absolue. Donc une spiritualité réaliste, qui prend au sérieux le monde tel qu’il est et la condition humaine qui est la nôtre, sans s’y soumettre et s’y résilier entièrement. Une spiritualité consciente de sa finitude et humble devant l’instance de la mort.

–         Une spiritualité qui ne se réduit pas à l’inexplicable, le sentimental et l’irrationnel, mais une spiritualité qui se veut esprit, soit-il humain ou divin, et en conséquence aussi rationnelle, qui prend alors au sérieux l’entendement, la raison, la compréhension et la sagesse, voire le dialogue avec la science ; une spiritualité qui accompagne les autres réalités sans se confondre avec elles.

Les exigences que nous pouvons formuler à l’égard des spiritualités des institutions en elles-mêmes, comme à l’égard de celles qui se manifestent et peuvent se manifester à l’intérieur des institutions, – à travers des collaborateurs, des familles, des intervenants extérieurs -, forment un cadre qui constitue « l’espace intermédiaire », cet espace qui se situe entre la vie de tous les jours et les réalités ultimes, entre le « ciel et la terre ». Une série de questions délimitent cet espace ou ce terrain de jeu, les règles du jeu, de sorte que le « jeu » en soi reste aussi ouvert et libre que possible. Nous voulons définir le contenant sans imposer un contenu, respecter les règles de la « diététique », sans imposer les « menus » :

–         Dans quelle mesure la spiritualité dont il est question est-elle en prise avec le quotidien[9] et évite autant le piège de la fuite du monde que la confusion avec celui-ci ?

–         Quelles sont ses explications du monde et de la condition humaine ?

–         Dans quelle mesure cette spiritualité respecte la personne dans sa particularité et son unicité, même là où cette personne ne se retrouve pas dans la spiritualité dont il est question ? Qu’est-ce qui compte plus, l’intégrité de la spiritualité ou celle de la personne ?

–         Quelle est son attitude face à la souffrance, le mal et l’injustice ? Quel est son combat ?

–         Quel est son attitude face à la loi ? Quelle est son attitude face à l’institution ?

–        Quelle est son éthique ? Quelle est son action ? Quel est son engagement ? Quel est son projet ?

–        Quels sont ses arguments ? Quel est son langage ?

–         Qui y a accès ? Qui est bienvenu et qui est rejeté ? Pourquoi ?

–         Quelle est son espérance ? Qu’est-ce qu’elle promet ?

–         Quelles sont ses ambitions ? Quelle autorité revendique-t-elle et quel rapport a-t-elle au pouvoir ?

–         Quel est son rapport avec d’autres spiritualités, d’autres cultures et traditions, d’autres modes de vie ?

–         Est-ce qu’elle peut rire et sourire sur elle-même ? Où met-elle ses limites ?

–         Quel est son « dieu », sa réalité ultime[10] ?

Armin Kressmann, Rapport « La spiritualité et les institutions », CEDIS 2008


[1] Cf. Les définitions de spiritualité ; le matériel comme véhicule du spirituel, dont l’exemple le plus parlant sont les sacrements, p.ex. le pain et le vin de l’eucharistie ou de la sainte cène.

[2] « Comparaison abrégée, par laquelle on transporte un mot du sens propre au sens figuré.

Figure par laquelle, se fondant sur une comparaison implicite, on use, pour désigner quelque chose, d’un terme, d’une expression qui, au sens propre, s’applique à une autre réalité. » (Dictionnaire de l’Académie)

[3] « Sorte de rapport, de ressemblance dans l’ordre physique, intellectuel ou moral qui existe à certains égards entre deux ou plusieurs choses différentes. » (Dictionnaire de l’Académie)

[4] « Emprunté du latin diaeteticus, du grec diaitêtikos, « relatif au genre de vie ». Partie de l’hygiène et de la thérapeutique définissant les règles d’une saine alimentation ou proposant aux malades des régimes adaptés à leur état. » (Dictionnaire de l’Académie)

« Si la nutrition se définit comme la science qui analyse les rapports entre la nourriture et la santé, la diététique y intègre une dimension culturelle liée aux pratiques alimentaires. On nomme diététique la science de l’alimentation équilibrée. » (Wikipédia)

[5] Pietro Leemann, chef tessinois établi à Milan ; La cuisine de saison, mai 2008, p.12ss

[6] Laïcité ouverte ; une laïcité fermée dirait : pas de cuisine chez nous, allez manger ailleurs !

[7] Ces « principes d’une spiritualité équilibrée »  seraient à retravailler et surtout à traduire dans le concret des institutions sociales, en fonction des publics accueillis. Pour ce travail le temps qui m’a été accordé est insuffisant ; aussi, à mon avis, une telle recherche devrait se faire de manière collective et interdisciplinaire, interconfessionnelle et interreligieuse.

[8] « Schuld » en allemand, faute objective, à distinguer du « Schuldgefühl », le sentiment de culpabilité.

[9] « La terre » ; la question d’être « terre à terre »

[10] « Le ciel »

« Spiritualité et spiritualités  18 :  la régulation en institution socio-éducative

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