Spiritualité et spiritualités : comment définir l’indéfinissable ?

Spiritualité définitions

Spiritualité et spiritualités

« Spiritualité ! Un terme à géométrie variable, suffisamment flou et suggestif pour devenir, par les temps qui courent, le commode fourre-tout du prêt-à-penser et des idées à la mode … »[1]

« Yet words like spirit and spiritual remain difficult to grasp. As Augustine said about time, their meaning seems fairly obvious until we try to define them. … » [2]

« The more you understand our thinking, the more you find it difficult to talk about it. The purpose of my talking is to give you some idea of our way, but actually, it is not something to talk about, but to practice. The best way is just to practice without saying anything. »[3]

« Elisabeth Michel le dit fort bien, que ‘la dimension spirituelle de l’être se situe toujours au-delà de ce que nous pourrions en dire’. » [4]

Tout le monde parle de spiritualité, mais rares sont ceux qui la définissent.

On en parle, on a peut-être une idée de quoi on parle, – idée très personnelle d’ailleurs, un droit qu’on revendique, et à juste titre -, on pense être au clair avec soi-même, on pense savoir de quoi on parle, mais, du fait que ce dont on parle est très personnel, on ne vérifie pas si ce dont on parle est la même chose pour tous, pour autrui aussi : nous sommes dans ce phénomène que Theodor Adorno appelle « das verdinglichte Bewusstsein », une « conscience chosifiée », de termes ou de notions qu’on utilise sans les mesurer et les vérifier par rapport à leur contenu véritable :

« … der Begriff des verdinglichten Bewusstseins … Ich meine hier damit dieses …, dass Begriffe … überhaupt nicht mehr gemessen werden an dem, was sie beinhalten, und dass das, was sie beinhalten, nicht gemessen wird am Begriff ; sondern dass der Begriff stillgelegt wird und dass man zu dem Begriff ein Verhältnis einnimmt, ohne dass man dem Wahrheitsgehalt, auf den er sich bezieht, überhaupt noch nachfragt … ohne dem nachzufragen, was nun an geistigen Inhalten erscheint. … » [5]

Slavoi Zizek comme psychanalyste nous rappelle le « signifiant vide » de Lacan :

« … dès la fin des années 1950, il (Lacan, AK) a insisté sur le fait que le ‘point de capiton’, le Signifiant Maître quasi transcendantal garantissant la consistance du grand Autre, n’était en dernier ressort qu’un leurre, un signifiant vide, sans signifié. Il suffit de rappeler la fonction de la communauté : le Signifiant Maître qui garantit la consistance de celle-ci est un signifiant dont le signifié est une énigme pour ses propres membres ; personne ne sait vraiment ce qu’il signifie, mais chacun présuppose, d’une certaine manière, que les autres, eux, ils savent : il doit bien signifier la ‘chose’ puisqu’ils l’utilisent tout le temps …  » [6]

Dans la littérature qui traite la question, je distingue au moins quatre approches pour définir le spirituel et la spiritualité :

a)     Les auteurs qui se donnent « l’esprit » comme point de départ et qui travaillent ensuite avec l’étymologie et l’histoire des mots et des concepts

b)    Ceux qui s’en approchent par la négative et se demandent à quoi le spirituel s’oppose

c)     Les auteurs qui cherchent et décrivent les concepts qui délimitent et  circonscrivent le spirituel et la spiritualité

d)    Ceux qui partent d’une manière la plus classique, du religieux et de la religion dont est issue toute spiritualité ; les uns prolongent la tradition religieuse, les autres, en s’y opposant, font de même, mais en la réfutant. Le contenu reste le même, ce qui change est le signe (« das Vorzeichen », le plus ou le moins devant « le » chiffre).

Armin Kressmann, Rapport « La spiritualité et les institutions », CEDIS 2008


[1]Jean-François Habermacher ; Vous avez dit spiritualité ? Cèdres Formation – Séminaire de culture théologique ; Internet, 2003, www.cedresformation.ch

[2] Wade Clark  Roof ; Spiritual Marketplace : Baby Boomers and the Remaking of American Religion, Princeton University Press 1999, p. 34

[3] Shunryu Suzuki ; Zen Mind, Beginner’s Mind ; New York 1970 ; cité in : Samuel Leutwyler; Spiritualität und Wissenschaft : Zwei Wege, die Welt wahrzunehmen, p. 19

[4] Cosette Odier ; Accompagnement spirituel ou « faire passer un chameau par le trou d’une aiguille … » ; Frontières, 2004, p. 70

[5] Theodor Adorno ; Vorlesung über Negative Dialektik ; Suhrkamp, Frankfurt 2007, p. 41s

[6] Slavoj Zizek ; Fragile absolu, Pourquoi l’héritage chrétien vaut-il d’être défendu ? Flammarion, Paris 2008, p. 168s

« Spiritualité et spiritualités 6  : étymologie et histoire (Lucy Tinsley)

Spiritualité et spiritualités 8  :  définition à partir du mot « esprit » »

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