Spiritualté et spiritualités : l’objet de la spiritualité

Spiritualité et spiritualités

Voici quelques réponses données à la question « qu’est-ce que c’est, pour vous, la ‘spiritualité’ ? », glanées à gauche et à droite :

« Ce qui permet le bien-être total, intérieur et qui mène à la vie en plénitude. » (Françoise)

« Ce qui aide à lire la bible et nourrit l’intériorité. » (Henri)

« C’est une des dimensions de l’être humain, la dimension de l’être intérieur qui aspire à trouver des réponses aux questions du sens de la vie. » (Anne)

« La fenêtre ouverte à Dieu. Ce qui fait de moi le temple de Dieu. » (Erika)

« C’est trouver un sens, donner un souffle à ma vie tout entière, c’est affronter les questions existentielles philosophiques qui habitent mon existence. C’est aussi ce besoin de me recentrer, de réfléchir, méditer ce que je suis avec mon entourage. » (Francis)

« Se sortir du traintrain quotidien pour voir qu’il y a encore autre chose que le traintrain quotidien ; la religion, mais pas seulement la religion. C’est la curiosité, chercher autre chose. » (Jacques)

« La confrontation de chacun avec ses questions de sens et, partout, le vécu que la personne donne à cette confrontation. » (Christian)

« C’est la réflexion, l’action structurée … , la concentration ou le relâchement de nos esprits occupés pour se retrouver, oriente notre esprit et notre personne vers Dieu. C’est une suite d’instants qui sont autant de piliers de vie. » (Guy)

Quand on parle de « spiritualité » apparaissent des réalités qui déploient l’espace et le temps, qui vont de l’intériorité personnelle à ce qui dépasse tout (« Dieu ») et cela dans la perspective d’un cheminement qui mène de la particularité de l’individu à l’universalité et à la plénitude.

Intériorité et extériorité, centrage et ouverture, moi et ce qui me dépasse, l’absolu, le non-moi, l’autre, Dieu : le paradoxe de la spiritualité expose le plus intime, le « soi », devant le tout et devant la question du sens que cet intime a et veut prendre, dans et face à ce tout qui le transcende. Le lien entre spiritualité et respiration, dont témoigne l’étymologie des deux mots, est donné : l’air, le souffle, qui a un air de rien, est l’élément le plus universel et le plus vital, que je partage avec tous, qui me relie à tous, le non-moi qui devient moi, l’inspiration, et que je rends à tous, l’expiration. Spiritualité est respiration ; ce que la respiration est pour le matériel, le physique, le spirituel l’est pour l’immatériel, le mental. C’est en même temps le plus privé et le plus public, espace privé et espace public, et espace qui unit le privé et le public.

Aujourd’hui, dans l’air du temps, la spiritualité est davantage une affaire de recherche personnelle qu’attribuée à une instance médiatrice, une institution comme l’Eglise ou la religion en général. Celles-ci, quand on parle de spiritualité, n’apparaissent que secondairement, fait, comme nous l’avons vu, tout à fait nouveaux. Le glissement de « religion » vers « spiritualité » est évident, avec en plus une préférence pour la dimension personnelle ; la réalisation de soi est maintenant l’enjeu central, pour les uns, et c’est probablement la majorité, à partir des ressources intérieures personnelles, – intériorité qui devient ainsi le siège et le lieu privilégié de la spiritualité, ce qu’on appelait autrefois (!) l’âme dont on ne parle plus beaucoup -, pour les autres à travers l’ouverture aux autres et l’ouverture à l’autre ; « immanence » et « transcendance » surgissent comme sujets, avec pour une bonne part une transcendance immanente dans le sens que ce sont les forces intérieures qui sont censées transcender le soi se trouvant devant des réalités faisant obstacle à la réalisation de soi. Le soi est appelé à dépasser le soi pour que celui-ci trouve l’autre soi, le « vrai » soi ; l’autre autre, individuel, communautaire ou institutionnel, fait désormais plutôt partie de ces obstacles se trouvant sur le chemin de la réalisation de soi. Nous sommes en ce que Wade Clark Roof appelle le « self-ism »[1], la divinisation, je le dis sans polémique, du soi.

En résumé, en ce qui concerne la spiritualité et la quête spirituelle :

–         L’intériorité l’emporte sur l’extériorité, la recherche personnelle sur les relations.

–         Le relationnel, l’ouverture aux autres et au monde, là où il est toujours effectif, risque d’être instrumental et utilitaire ; l’intérêt pour autrui se limite à l’intérêt qu’il a pour la réalisation de soi.

–         Nous avons un effet paradoxal : la spiritualité, au lieu d’ouvrir à l’altérité et la transcendance, conduit au repli et à « l’autocentrage » (« égocentrisme »[2]).

–         La réalisation de soi se passe d’institutions, voire même de communautés, donc notamment d’Eglise et de religion.

Pour le monde du handicap et de la marge la conséquence est double :

  1. On n’y voit pas d’autre chose que le miroir ou le rêve brisés[3]. En principe, il n’a pas d’intérêt en soi[4]. Pour paraphraser Paul Ricouer, nous devrions dire que « l’autre comme soi-même » l’emporte sur le « soi-même comme un autre ». Il est devenu difficile de se reconnaître en autrui, et plus particulièrement en celui, celle qui, incontestablement, est « différent ».
  2. Il est laissé à lui-même, au nom de « l’autonomie », ou renvoyé à des institutions, sociales ou ecclésiales, ou à l’Etat, dont on se méfie par ailleurs en tant qu’institutions.

Armin Kressmann, Rapport « La spiritualité et les institutions », CEDIS 2008


[1] Spiritual Marketplace : Baby Boomers and the Remaking of American Religion, Princeton University Press 1999 ; p. 40

[2] Qui n’est pas mal en soi, aussi longtemps qu’il fait partie d’un mouvement double, de centrage et de décentrement, d’inspiration et d’expiration. L’égocentrisme est même constitutif pour les étapes de vie, les crises de développement à travers lesquelles l’individu doit se reconstituer, notamment l’adolescence. Dans ce sens, notre société avec ce qu’on appelle la « perte des repères », fonctionne d’une manière adolescente, avec le « jeunisme » généralisé comme symptôme.

[3] Simone Sausse ; Le miroir brisé, L’enfant handicap, sa famille et le psychanalyste ; Calman-Lévy 1996

[4] D’où le prolongement de l’eugénisme dans la médecine de reproduction moderne, p.ex.

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