Après avoir regardé sur Arte les trois émissions sur les milieux évangéliques dans le monde, « Les évangéliques à la conquête du monde », je me suis demandé où j’en suis-je, moi, avec ma foi évangélique, ici dans mon Église, « L’Église évangélique réformée du canton de Vaud, EERV », qui se veut aussi évangélique, avec des paroisses et collègues qui se disent tous et toutes évangéliques.
Je suis évangélique ; mais je ne suis pas évangélique.
Et je suis fondamentaliste, moi aussi ; mais je ne suis pas fondamentaliste.
Je suis protestant.
Sans front polémique, dispute, pas de foi ; seulement faits et science. Mais polémique aussi, foi, contre son instrumentalisation par le politique. Et polémique contre une foi qui instrumentalise le politique ; … et Dieu.
Je lis la bible ; mais je ne la confonds pas avec la parole de Dieu.
Je sonde le texte ; mais je me laisse guider par l’esprit du texte.
Je reçois chaque mot ; mais je ne le confonds pas avec la parole. Et je lis la bible ; mais je ne la confonds pas avec une traduction particulière de la bible. Traduire est interpréter, j’en suis conscient quand je lis la bible, chaque bible.
Je crois en Dieu créateur ; mais je ne confonds pas nature et création. Dieu s’occupe de la création ; nous, nous devons sauvegarder la nature.
Je suis attaché à l’évangile et je défends et essaie de vivre les valeurs dont il témoigne ; mais je ne veux pas évangéliser le monde, ni sauver la « culture chrétienne » ; leur imposer mes valeurs non plus. Proclamer l’évangile, en témoigner par ma vie, dans les limites de mes possibilités, ça suffit.
Je crois au salut en Jésus Christ ; mais je ne crois pas que le salut n’est accordé qu’à ceux et celles qui croient en Jésus Christ.
Je crois que la foi en Dieu en Jésus Christ rend libre ; mais cette liberté, je ne veux pas l’imposer à tout le monde. Et la foi, ma foi, non plus. Il y a d’autres chemins de liberté que ma foi. La pensée, notamment.
Je crois que Jésus Christ est vie et vérité ; mais je ne crois pas que vie et vérité sont inaccessibles à ceux et celles qui ne croient pas en Jésus Christ.
Je crois que Dieu sauve le monde ; mais je ne crois pas que le monde doit croire en Dieu pour être sauvé.
Je crois en la loi de Dieu et je la défends ; mais je crois que sa grâce l’emporte sur la loi.
Je défends Israël, son existence, son histoire et sa théologie ; mais son actuelle politique, je ne la partage pas.
Je crois que la foi importe en politique ; mais je ne confonds pas foi et politique. Je les sépare, comme je sépare science et foi, évolution et création.
Je suis rattaché à une éthique chrétienne ; mais je ne la déduis pas d’une lecture littérale des textes bibliques. Avec le Christ, je soumets chaque verset et son interprétation au double commandement d’amour. En ce sens, je suis fondamentaliste, moi aussi.
Moi aussi, je suis contre l’avortement, et le suicide, mais je n’oserais jamais juger une femme qui avorte ou une personne qui songe à s’ôter la vie. Et si situation tragique se présente, j’essaie d’être présent, pour l’accompagner, avec ma foi.
Et l’homosexualité ? C’est nature, cela ne regarde pas ma foi.
Je crois en la famille, moi aussi ; mais ce n’est pas à moi d’imposer aux autres ce qu’est famille pour moi.
Par ailleurs, il y a d’autres éthiques, aussi valables que la chrétienne.
Et si je devais choisir entre croire et penser, je choisirais penser (contre Augustin ?). Heureusement je ne me retrouve pas en la situation de devoir choisir ; ma foi elle-même permet d’être pensée et critiquée, par d’autres et par moi-même.
De toute façon, Dieu est large.
Si je devais trancher entre lui et le monde, je choisirais toujours le monde, les humains, et non pas Dieu.
Pourquoi ? Parce que lui a fait de même, en Jésus Christ.
C’est ce que je crois et que je lis dans la bible.
Par ailleurs, Dieu n’a pas besoin que je le défende ; sinon, il ne serait pas Dieu.
Il n’a même pas besoin que je l’adore ; le respecter et l’aimer ça suffit.
La vie est suffisamment louange.
J’aime le monde. Pourquoi ? Parce que Dieu s’y cache.
Et je me permets de douter et, comme je le fais pour le monde, de questionner Dieu, comme Job l’a fait.
Et le Christ, lui aussi, sur la croix.
Pourquoi m’as tu abandonné ? Pourquoi la vie, pourquoi la mort, pourquoi le bien, pourquoi le mal ? Pourquoi moi, elle, lui, nous, eux ?
Nos pourquoi sont légitimes ; sinon l’incarnation n’aurait aucun sens ; et non plus l’histoire du salut dans son ensemble.
Chaque croix est une mise en question de Dieu.
Je crois en l’amour de Dieu, sa miséricorde ; mais, après la Shoah, nous ne pouvons plus croire à sa toute-puissance.
Reste l’amour, impuissant.
J’aime mon Église ; mais je ne la confonds pas avec le corps du Christ.
Le salut est hors Église, aussi hors Église, parfois plus qu’en Église.
C’est promesse, pour le monde tout entier.
A Dieu seul la gloire. Et la sollicitude et la justice aux hommes.
C’est ça ma prière, le pas que je fais, tous les jours, en trébuchant.
Faire et refaire, comme le potier. Je boîte, comme Jacob.
On peut aimer Dieu, on peut lutter avec lui, mais vivre sans lui, je ne peux pas.
Fides qua creditur.
Armin Kressmann 2023