«ChatGPT, l’intelligence artificielle ne fait rien d’autre que ce que nous faisons comme pasteurEs quand nous puisons nos prières dans des recueils de textes liturgiques, la ou notre tradition, et les adaptons juste à notre actualité, nos mots clés à nous. Il se pourrait que l’intelligence artificielle le fasse même mieux que nous.» écrivais-je sur Facebook.
Une collègue a réagi en disant : «Ça serait peut-être vrai si chatGPT puisait ses sources dans la même bibliothèque que nous…. »
A moyen terme, les forces et les faiblesses, les risques et les dangers de l’intelligence artificielle, donc des «machines pensantes», sont-ils différents de ce que nous vivons face à l’intelligence et à la bêtise humaines ? Fondamentalement, y a-t-il même une différence ?
En réfléchissant à la réaction de ma collègue, j’arrive à la conclusion que la question de la bibliothèque dans laquelle puise la machine n’est qu’une question de programmation, donc de l’algorithme. Quels critères se donne la machine, critères imposés par l’humain, pour choisir les textes ou autres œuvres pour composer sa réponse à une question ou interrogation que l’humain lui soumet ? Ce sont ces critères qui forment l’algorithme. Est-ce différent chez la pensée humaine ? Là, chez l’humain, nous parlons de paradigmes, d’idéologie, de visions, de confessions ou de mythes. Ce sont ceux-ci qui nous font sélectionner dans l’univers infini des croyances et des pensées ce que nous jugeons vrai ou faux, utile ou inutile, bon ou mauvais. Chez nous les humains, ce qu’est programmation de la machine s’appelle éducation et formation, transmission ou manipulation, école et politique.
Mon algorithme à moi comme théologien et pasteur, sans parler des autres dimensions qui constituent ma personne et ma personnalité, a été formé par une éducation protestante réformée zwinglienne, avec quelques touches luthériennes et calviniennes, une formation universitaire biblique, systématique et éthiques où des penseurs comme Buber, Wiesel, Tillich, Kant, Foucault, Lévinas, Wittgenstein, Rawls et Nussbaum, pour ne parler de ceux-ci, ont joué et jouent toujours un rôle majeur. Cet ensemble a été et est toujours modulé par mon expérience de vie, mon contexte, ma famille, mon Église, mon pays, mes joies et mes peines.
Que conclure de tout ça ?
Premièrement la complexité et la logique de «l’algorithme» ; elle n’est pas la même chez la machine et chez l’humain. Cependant, quand nous nous tournons vers la politique et la publicité, deux domaines qui influencent fortement notre action, la pensée humaine est souvent réduite à une simplicité qui est facilement dépassée par la machine. La manipulation entre humains est omniprésente. Nous, les humains, pour le bien et pour le mal, ne sommes pas seulement guidés par la raison, un algorithme, mais aussi et souvent surtout par des émotions et des sentiments.
Deuxièmement les paradigmes ou plutôt les changements de paradigme, donc les révolutions de la pensée et du croire. Il se pourrait, et peut-être heureusement, qu’ils soient réservés à l’humain. La pensée et la foi monothéiste ! Ou, pour n’évoquer que deux exemples tirés de l’art visuel, pour la machine le carré noir de Malewitch reste un carrée noir, ne peut pas prendre la place de l’icône sans que l’humain le lui impose, ou le pissoir de Duchamp reste un pissoir et ne peut pas être déclaré œuvre d’art «ready made» par la machine elle-même. Ouverte pour moi reste la question si un jour l’intelligence artificielle arrivera à changer de niveau, se regarder elle-même et d’une façon nouvelle, au deuxième ou troisième degré, c’est-à-dire avec recul et une autre logique que celle du premier degré. Si réelle menace pour l’humain il y a, c’est là où elle réside, dans la prise de pouvoir sur l’humain (mais même là, serait-ce si différent de la prise de pouvoir sur l’humain par l’humain ?).
Troisièmement la régulation ; celle-ci ne peut pas se faire par l’interdiction de l’intelligence artificielle. Pourquoi ? Parce que, comme chez l’humain, ce ne serait qu’interdiction pour le grand public. Les puissants et les puissances de ce monde s’en serviront toujours. Le protestantisme lui-même est l’illustration de la régulation qui s’impose de l’intelligence artificielle : la transparence, rendre accessible la «bible» à tout le monde, pour que débat ouvert il y ait, rendre public et accessible à tout le monde l’algorithme ou les algorithmes, les soumettre à un débat public et démocratique, former et éduquer pour que son utilisation soit bénéfique à tous les humains. En Église, le seigneur de l’algorithme s’appelle curie, Rome ou pape. Ce n’est qu’une approche «protestante», dans tous les sens du mot, qui permet de cadrer l’algorithme ou les algorithmes pour qu’ils servent l’humain et la liberté humaine et ne travaillent pas contre ceux-ci.
Armin Kressmann 2023