« Quelle est la bonne métaphore pour expliciter le rôle de l’identité dans la spiritualité – racine et source se disputent la tête de course. », lançait Elio Jaillet sur Facebook comme question-affirmation, question posée lors d’un séminaire à Crêt-Bérard.
« Racine et source », donc, si je comprends bien, une identité pré-existente, en Dieu, vers laquelle je suis, en tant que chrétien, invité à « retourner ». Conversion vers le passé. Dieu immuable. Toute notre théologie, c’est son drame, est tournée vers le passé. « Identitaire ». Main mise, prise de pouvoir, abus de pouvoir y sont programmés ; l’histoire du christianisme en est marquée : « nous savons qui tu es et nous disposons du pouvoir pour que tu deviennes ce que nous avons prédéfini pour toi ; nous connaissons ton avenir, mieux que toi-même ». Vladimir et Cyrille le savent.
Le mal réside dans la filiation, tournée vers un passé prédéfini, qui nous échappe, mais qu’on nous impose. « Pro Schweiz » !
Non, la spiritualité chrétienne est ouverte, tournée vers l’avenir, le « règne de Dieu ». Le chrétien tend vers son identité. C’est le projet de Dieu pour chacun et chacune. Le nouveau-né « n’est pas », il est sa mère ; c’est banal. Il devient. Il devient lui-même par la grâce de Dieu et dans son Esprit ; en Christ, qui l’envoie sur le chemin vers lui-même. Le Christ est le chemin, comme trace. « Va vers toi-même, dans le pays que je te montrerai. » Dieu est la source, l’origine ; mais je ne suis pas Dieu et je ne veux pas le devenir. Je désire devenir moi-même. Naître de nouveau, Nicodème. Naître vers son identité. Être emporté vers soi-même, par et dans l’Esprit (le vent). Et la spiritualité est se laisser emporter, se remettre à l’Esprit. L’Esprit est le tiers, même pour Dieu, tout en étant Dieu. Pourquoi ? Parce qu’il m’accorde, et il s’accorde aussi, d’être autre. Et la loi, les écritures, indique l’orientation, contre les mauvais esprits, les turbulences et les tempêtes, les tentations, de la vie. La spiritualité chrétienne est éthique chrétienne. Soi-même comme un autre.
L’identité comme origine et source retient, enferme, emprisonne, paradis perdu. Ce n’est que par la désobéissance, « la chute », que je deviens libre pour me remettre à Dieu et que je peux, librement, obéir à sa volonté, autonome, me remettre à son Esprit, et ainsi, c’est la promesse, devenir moi-même. L’impératif est promesse, indicatif : « tu aimeras… » Le nouveau-né n’aime pas, pas encore ; il est « totalitaire », veut maman entièrement, « totalement ». Il aimera seulement, pourra lâcher prise, après avoir fait l’expérience d’être aimé, aimé malgré son « totalitarisme ». La désobéissance fait partie de la bonne création, elle est grâce quand elle est portée par l’Esprit. « Désobéissance civile », désobéissance spirituelle.
Les anges, obéissants comme les démons, ne sont pas libres. Ils ne peuvent pas librement choisir entre le bien et le mal, ni librement se remettre à la volonté de Dieu. Adam, « avant la chute », n’était pas libre. C’est Ève qui nous rend libres, libres d’obéir librement. Son nom est programme.
Armin Kressmann 2022
Magnifique ! J’essaie de te faire une réponse la semaine prochaine sur mon blog :)