Dans le débat contradictoire pour ou contre le mariage pour tous, voici un argumentaire théologique qui défend le mariage pour tous :
« Je suis pour le mariage pour tous »
Mon collège qui est contre le mariage pour tous, ne devrait pas seulement confondre nature et création, mais la bible avec la Parole de Dieu non plus. Aussi devrait-il se méfier davantage des traductions de la bible qu’il utilise pour défendre sa position.
Je défends aujourd’hui le mariage pour tous, pour des raisons théologiques.
Mais commençons au début, comme mon adversaire, avec Genèse 1, la création : Dieu, que veut-il que l’homme, comme humain, soit, selon son plan de créateur ?
« Commencement de la création par Dieu du ciel et de la terre. » (Gn 1,1 ; TOB, Traduction œcuménique de la Bible, édition 2010)
« Lorsque Dieu commença la création du ciel et de la terre … » (Gn 1,1 ; TOB édition 1988)
Il s’avère très vite que, semble-t-il, la création ne commence pas avec le premier verset de la bible. André Chouraqui traduit :
« ENTÊTE Elohîms créait les ciels et la terre. » (CLattès 1992)
Et il développe :
« Entête beréshit : le premier mot de la Bible … (ce) terme est fortement lié au suivant … Ainsi l’ont compris des grammairiens anciens tels que Rashi qui a proposé l’équivalence avec beréshit bero (sur l’infinitif), ‘au début de l’acte de création’ ; le verset 2 est alors une incise circonstatielle et le verset 3, Elohîms dit, est la proposition principale. » (A. Chouraqui p.33)
L’acte créateur commence donc seulement au verset 3 du premier chapitre du livre de la Genèse, la création par la parole :
« Elohîms dit : un acte de volonté est à l’origine de la parole créatrice. Les Kabbalistes l’affirmeront, à partir de verset (Gn 1,3) l’identité de la pensée, de la parole et de l’acte d’Elohîms. » (A. Chouraqui, p. 41)
La TOB confirme : « La traduction habituelle est : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre, à quoi peut correspondre la conclusion (Gn 2,4a). Mais l’hébreu a seulement : En un commencement où Dieu créa le ciel1 et la terre … l’auteur pense plutôt à l’action créatrice de Dieu organisant le monde qu’à un commencement absolu. » (TOB 1988, p. 51, note b)
Dans l’édition de la TOB de 2010 (p. 55), la note du verset 1,1 dit :
« Il s’agit d’un titre ou d’un résumé de ce qui suit … »
Et pour le verset 2, l’incise dont parle Chouraqui : « L’auteur décrit ici l’état de l’univers avant la création : il est chaotique, autrement dit caractérisé par l’absence de vie, … par la ténèbre, l’abîme …, c.-à-d. la masse informe des eaux primordiales. » (p. 55 aussi ; mise en évidence par AK )
En conséquence, nature n’est pas création2.
Avant le commencement il y a déjà quelque chose, tohu-bohu, ténèbre, abîme, eaux (Gn 1,2), chaos primordial, ce que vit le nouveau-né juste après sa naissance, un monde menaçant. Je l’appelle « néant », et néant est, ce n’est pas rien. Le nihil est tohu-bohu, néant. Il précède la création.
A l’origne, face à Dieu il y a néant, affrontement entre Être (Dieu) et non-être (néant). A l’origine, avant que les choses soient nommées, il y a pure nature. Nature est, c’est un fait, mais, – à la naissance, avant la naissance, avant que les choses soient pour moi, la création par la Parole -, elle est pur chaos, « in-forme ». Et elle menace. C’est la Parole qui la rend intelligible et supportable, voire apaisante et « bonne » (Gn 1,9ss). C’est la Parole qui forme ce qui, au début, est in-forme. La Parole crée … la création ; et la création est déjà alliance.
La nature appartient à la science, la création à la théologie.
Et voilà : l’homosexualité est nature. L’homosexualité est un fait ; il n’y a rien à guérir.
La distinction nature-fait … création, don … salut, grâce et sanctification3 est fondamentale : elle nous ouvre à cette dynamique d’alliances successives, de confirmations successives de l’amour-volonté de Dieu de la création jusqu’à cet acte de confirmation ultime où Dieu se donne lui-même en Jésus Christ sur la croix ; « ils n’ont pas compris, alors je leur redis … ». Maintenant c’est fait, accompli.
Tout commence avec la création, ici de l’humain (Gn 1,26.27) :
« Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance … Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa »4 (TOB 2010)
« Nous ferons Adâm – le Glébeux – à notre réplique, selon notre ressemblance. … Elohîms créa le glébeux à sa réplique, à la réplique d’Elohîms, il le crée, mâle et femelle il les crée. » (A. Chouraqui)
Qu’est-ce l’homme ?5 Le terreux, le glébeux6 … l’humain ?
Pour moi, les passages des singuliers aux pluriels, et vice versa, témoignent de notre féminité et de notre masculinité de tous et toutes, de la diversité de « l’humain », du terreux ou glébeux. Nous ne sommes pas homme ou femme, Dieu nous crée constamment « homme et femme », et c’est ainsi qu’il a, à travers cette succession d’alliances, aussi valables pour l’individu, différenciation et individuation. Dieu nous crée constamment, à partir de la nature qui est la nôtre, et c’est dans l’interaction des uns avec les autres, « en Église », que nous sommes invités à devenir ce que Dieu a déjà inscrit dans la création. Le chemin pour le devenir est l’amour.
Le salut est inscrit dans la création (et non pas dans la nature) ; la chute, dans le sens de la prise de la liberté que Dieu nous accorde, « fait partie de la création ». Le serpent est Satan (cf. Job), en lui il y a aussi positivité7 (comme pour le néant).
Il y a succession et renouvellements de la même alliance, qui s’accomplit en Jésus Christ. Dieu ne peut pas aller plus loin que se donner et offrir lui-même.
L’amour du couple, la famille, quelque soient leur type, reflètent l’alliance … qui elle est à renouveler constamment.
Je défends une théologie de l’alliance comme histoire du salut qui inclut et englobe création, patriarches, royauté, prophètes et l’œuvre de Dieu en Jésus Christ.
La conciliation l’emporte sur les ruptures. Il y a continuité et persévérance dans le projet de Dieu.
Conciliation veut dire inclusion – l’Église du Christ est une Église inclusive. Elle est guidée par le double commandement d’amour … dont « dépendent toute la Loi et la Prophètes » (Mt 22,40) ; le reste est déclinaison circonstancielle des mêmes principes ; le double principe d’amour, l’amour de l’autre dans son altérité et l’amour du même, l’emporte sur toute autre loi, exhortation, interdit ou morale. Toute exégèse et herméneutique … toute interprétation est guidé par lui, l’amour8. Et Dieu en est le seul juge.
Je défends le mariage comme bénédiction de toute alliance durable qui se fonde et veut se fonder sur l’amour.
En conséquence, je suis pour le mariage pour tous.
Armin Kressmann 2019
1En hébreu un pluriel.
2Distinction entre 1. fait-nature, donné dans le sens a priori 2. création, expression de l’action divine à travers sa parole, déjà alliance, donc réalité à laquelle le salut est inné, donné par Dieu et 3. grâce, don de Dieu qui sanctifie, action de l’Esprit qui nous fait agir. Cette distinction est primordiale pour éviter toute confusion. Confondre nature et création voudrait dire que Dieu, dans son plan de création, cautionne tout ce qui est nature, avec toutes les conséquences. Comment dire à des parents qui se trouvent p.ex. devant un nouveau né avec spina bifida que Dieu, dans sa bonté infinie, l’a voulu ainsi ? Nature est fait, c’est ainsi, création est parole. Dieu, que nous dit-il, dans une situation donné, devant les faits, la nature, telle qu’elle est ? Le salut est inscrit dans la création, mais pas dans la nature. Celle-ci, au départ, pour notre famille, est tohu-bohu. L’homosexualité est un fait, nature, c’est ainsi, comme l’hétérosexualité, c’est plus basique, élémentaire et lapidaire que vouloir la justifier ou rejeter avec des arguments théologiques. Le débat est clos avant que commence la théologie.
3cf. notes 1 et 2
4« … tant dans la position classique de l’Église catholique romaine et des Églises orthodoxes d’Orient que dans celle d’une grande majorité des Églises protestantes, la théologie de la création telle qu’elle se développe dans les trois premiers chapitres de la Genèse permet de fonder sur le projet même du Dieu créateur la caractère naturel de l’hétérosexualité, aux dépens des autres orientations sexuelles. On peut même se demander si cette théologie de la création n’a pas contribué beaucoup plus à discriminer l’homosexualité que les condamnations lapidaires du Lévitique et de l’épître aux Romains. Que ce soit en créant d’emblée l’être humain comme mâle et femelle en les créant à l’image de Dieu (Genèse 1) ou en donnant à l’homme après coup la femme comme sa seule véritable compagne … (Genèse 2), la création fonde massivement l’hétérosexualité comme la seule orientation sexuelle légitime. Le texte de Genèse 1 l’exprime de la manière la plus claire : l’altérité inscrite dans la différence des genres est l’indice de l’altérité divine du créateur, si bien que l’homosexualité, par son manque d’altérité, s’inscrit en faux contre le projet même du créateur. Il résulte de cette conception qu’il faut certes accueillir les personnes homosexuelles, mais qu’on ne peut pas ‘consentir à faire d’une union homosexuelle le signe d’un lieu de vérité qui renvoie à Dieu et appelle sa bénédiction’ (Communiqué du 1.9.1995 du Conseil de l’Église protestante genevoise). Cette position se renforce encore par l’accent porté sur la procréation à partir de Gn 1,28 … La sexualité se trouve ainsi ‘transcendée’ par la procréation … » (Pierre Bühler, in : L’accueil radical ; Labor et Fides, Genève 2015, p. 197)
5En Genèse 1,26 et 27 Dieu UN est pluriel, « l’homme » est le « Mensch », l’être humain, Adam, le glébeux dit André Chouraqui, tiré de la terre, et lui, comme réplique du Dieu Un pluriel, aussi pluriel. Pour lui aussi il y a basculement du singulier au pluriel. Donc au lieu de prendre mâle et femelle comme alternative exclusive, nous pouvons aussi les prendre comme diversité. L’un est divers, je suis homme, mâle et femelle. Cette ambiguïté hébraïque biblique mérite d’être approfondie.
6André Chouraqui
7Dans le livre de Job, Satan n’est pas le diable dans le sens du diviseur, mais de l’avocat général. Il accuse Job. Avec l’accord de Dieu, qui lui ne doute pas de Job, il met Job à l’épreuve. Comme équivalent côté défense je vois l’Esprit, la féminité de Dieu, qui dès le commencement plane sur l’ensemble (Genèse 1,2), le Paraclet dans l’évangile selon Jean.
8« éros, philia et agapè »