Faut-il encore d’hébreu et de grec pour faire de la théologie (judéo-chrétienne) ? C’était la question. Voici ma réponse.
Nous succombons toujours à la tentation de penser que ce que nous avons compris à travers et par un texte soit l’essentiel, ce que le texte veuille nous dire. L’essentiel cependant, il est dans ce que nous ne comprenons pas. Il est toujours dans le reste, en ce qui nous échappe. Dieu en tant que Dieu est insondable, abscons. Sinon il ne serait pas Dieu. Pour nous y approcher quand même, nous devons écarter ce que nous comprenons, ce dont nous croyons qu’il nous l’ait révélé lui-même (suite à Wittgenstein je radicalise la théologie négative). Mais Dieu est une personne1 et en tant que personne, justement, insondable, inaccessible, absconse. Ma femme, je ne la connais pas, même pas après l’avoir déjà connue il y cinquante ans et après avoir été marié avec elle pendant plus de quarante ans ; heureusement d’ailleurs. Elle est toujours grâce. Vivre ensemble ne suffit pas pour connaître quelqu’un. Écarter ce que je crois connaître et comprendre, c’est ça le travail théologique (ou philosophique ; ou du dialogue que nous entretenons, ma femme et moi). En conséquence, je dois creuser le texte, les phrases et les mots, jusqu’à la limite de ma compréhension et de mes possibilités, tout en sachant que ce que j’y trouverai n’est jamais ni Dieu, ni sa Parole (ni ma femme en tant que telle) ; hébreu, grec, français, anglais, allemand … Je dois y passer, sans exception, sans excuses. Toi aussi. Maintenir et soigner le dialogue, écarter les malentendus. Mais nous reste, si nous faisons bien notre travail, – en l’occurrence suivre l’appel que Dieu nous adresse -, là où nous sommes, toi et moi, cette consolation : ni moi, ni toi le trouverons, quoi que nous fassions, nous n’y arriverons jamais, à comprendre Dieu, à comprendre autrui. Pourtant, le travail nous devons le faire, pour comprendre que nous ne pouvons pas comprendre et écarter nos mauvaises compréhensions. Ce n’est que dans la rencontre que nous pouvons comprendre, « verstehen », « understand » (magnifiques, ces trois champs sémantiques différents) et aimer. En ce sens, hébreu et grec sont indispensables.
Tu aimeras l’autre dans son altérité.
Armin Kressmann 2019
1« Voici donc LE texte fondateur (Torah) de la foi judéo-chrétienne, le Décalogue, les dix commandements ou paroles. Il témoigne de l’intervention libératrice de Dieu dans l’histoire des humains, – intervention qui ne peut être que singulière et personnelle, adressée par LA personne, « Moi-même » v. 2, à une personnalité, ici Moïse et son peuple, sinon elle n’est pas « historique » -, et la met en œuvre, « verwirklicht sie », la rend réel et opérationnel pour l’ensemble de l’humanité, en donnant à celle-ci un cadre du vivre ensemble qui lui offre en son ensemble la liberté acquise. Singularité et universalité s’articulent et s’allient, « alliage et alliance », en la finalité ultime qu’est la personnalité de toute personne, initiée par « Dieu », le « Seigneur », ici nom propre YHVH, « ton Dieu », en qui le croyant reconnaît une personne, LA personne, en qui se réunissent l’origine et la fin. » (ethikos, « La personne est ton Dieu »)