« Ora et labora » – La fête est belle (Fête des Vignerons, Vevey 2019)

La fête est belle, c’est vrai, colorée, accueillante, joyeuse,

la musique est magnifique, les chœurs sont sublimes,

et l’engagement des figurants et des bénévoles est immense.

J’en profite pleinement ; jusqu’au « Lyoba », qui est devenu ma berceuse.

Il y a partage,

et quand partage il y a,

vrai partage où chacun, chacune se donne, gratuitement, avec sa personne et ses biens,

la fête tend vers ce qu’en Église nous appelons « royaume de Dieu ».

C’est ce que voit celui qui regarde et observe : l’engagement est au-delà de ce qu’on peut attendre « raisonnablement ».

Il y a transcendance, le moment est transcendant.

Je vous dis : « Merci »

Mais quelle transcendance ?

Est-ce qu’on ose poser la question, en pleine fête ?

Vous me direz : « La fête, est-ce que cela ne te suffit pas ? Le sens de la fête, n’est-il pas dans la fête ?»

La fête pour la fête, l’art pour l’art ?

« Le Règne de Dieu ne vient pas comme un fait observable.

On ne dira pas : ‘Le voici’ ou ‘Le voilà’.

En effet, le Règne de Dieu est parmi vous. »

(évangile selon Luc, chapitre 17, verset 21)

A la fête, timidement, pudiquement, le nom de Dieu est encore évoqué.

La devise de la confrérie des vignerons est posée, discrètement, mais toujours et encore :

« Ora et labora »

Labeur il y a, et comment, lors de cette fête, il y en a eu avant déjà et il y en aura après encore.

Mais prière ?

Pour la météo peut-être.

Sinon, Dieu dérange un peu.

Ce sont plutôt les trois soleils qui sont célébrés,

et, secondairement, les vignerons tâcherons, les vigneronnes tâcheronnes.

Est-ce que ce sont eux, elles, qui incarnent la transcendance, renvoient à autre chose que la simple fête, dé-rangent, rangent autrement ce qui, sans eux, sans elles, n’aurait pas d’autre finalité que la fête en elle-même ? Comme Dieu dé-range, pour ceux et celles qui le remarquent encore ?

Être tâcheron, être au service de quelqu’un d’autre :

« 1. Ouvrier qui effectue, dans les exploitations, des travaux payés à la tâche. 2. Personne qui exécute avec application des tâches sans prestige. », nous dit le dictionnaire quand on cherche le mot « tâcheron ».

Dieu tâcheron, être tâcheron de Dieu ?

C’est tout un programme, une théologie, une vision de Dieu et de l’homme, humains, les deux :

« Nous sommes des serviteurs quelconques. Nous avons fait seulement ce que nous devions faire. » (évangile selon Luc, chapitre 17, verset 10)

Au service de qui, de quoi est-elle, cette fête des vignerons ?

La question est légitime, me semble-t-il, parce que c’est elle qui garantit la pérennité de la fête.

La fête, est-elle au service du couronnement, comme en ses débuts, ou le couronnement au service de la fête, comme c’est le cas aujourd’hui ?

Et couronnement de qui ?

La question de la transcendance se pose, en tout cas pour moi.

Cette fête, au service de qui, au service de quoi ?

J’ai l’impression, sous sa forme actuelle, cette fête est tellement de notre temps, tellement grande, tellement finalité en elle-même, qu’elle est en train de se dépasser elle-même. Il y en aura plus une autre comme celle-là. La prochaine sera de nouveau plus narrative, plus simple, plus « écologique », plus logique « tâcheron ».

On se demandera de nouveau : « Qui ou quoi est couronné, célébré ? »

Les vignerons,

les tâcherons,

la confrérie, avec son abbé-président,

les autorités locales ou venant de toute la Suisse,

les trois soleils,

la Suisse, – avec son armée d’air et sa compagnie aérienne qui n’est plus suisse -,

le pays, la nation,

la région et ses habitants,

les bénévoles et leur engagement,

une tradition, un histoire,

la terre, la nature,

les vignobles, le vin,

l’excellence ou la simplicité,

l’excès ou la modération,

ou cette transcendance que la fête nomme encore, tout timidement, « Dieu » ?

Quel dieu ?

Comment dire Dieu quand on a perdu le sens de la transcendance ?

C’est ce que se demande aujourd’hui, tout en se réjouissant avec ceux celles qui se réjouissent, celui qui regarde et observe.

« Vanité des vanités, vanité des vanités, tout est vanité.

Quel profit y a-t-il pour l’homme de tout le travail qu’il fait sous le soleil ?

Un âge s’en va, un autre vient, et la terre subsiste toujours.

Le soleil se lève, le soleil se couche,

il aspire à ce lieu d’où il se lève. »

(Qohéleth, chapitre premier, versets 2 à 5)

Dans cette vanité évoquée par le sage, avec le soleil, les trois soleils, aspirerons-nous encore, ou de nouveau, la prochaine génération, à ce lieu où se lève tout ce qui nous est donné ?

« Ora et labora »

Armin Kressmann 2019

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