Les mots ont du poids.
Dans le débat sur le mariage pour tous, qui occupe et préoccupe les milieux d’Église, notamment la Fédération des Églises protestantes de Suisse FEPS, apparaissent des mots qui théologiquement mériteraient d’être clarifiés. Il y a même des glissements qui, à mon avis, sont problématiques.
Dans son communiqué suite à l’assemblée des 16 au 18 juin, concernant le débat sur la mariage pour tous, la FEPS écrit :
« Nous sommes voulus par Dieu tels que nous sommes créés. Nous ne pouvons pas choisir notre orientation sexuelle. Nous l’intégrons comme une expression de notre plénitude de créature ». (Mise en évidence par AK)
La FEPS identifie l’orientation sexuelle comme voulue par Dieu, elle fait partie de la création. Soit. Personnellement, suite à ma réflexion sur « Nature et Création », je la mettrais d’abord du côté de la nature, dans un deuxième temps seulement dans la création. Pour moi, et cela me semble plus fort, l’orientation sexuelle est un fait avec lequel nous devons faire, que cela nous plaise ou non. La science nous dit que l’homosexualité ne se choisit pas. En ce qui me concerne, je suis d’accord d’y reconnaître une création de Dieu, un acte de sa Parole créatrice. Mais attention : pas toute réalité « naturelle », à mon avis, peut être qualifiée comme expression de la volonté de Dieu. Il y a voile d’ignorance : ce qui est, nous ne savons pas toujours s’il est « bon », en tout cas y a-t-il des réalité qui heurtent notre conception du bien et du mal. Je préfère les remettre au mystère de Dieu, les « catastrophes » naturelles, la naissance d’un enfant handicapé, la maladie, les douleurs insupportables, la mort …
Le silence s’impose, sinon le « mal » est aussi voulu par Dieu, et nous nous retrouvons dans une théologie de rétribution.
Cependant, encore une fois, il faut que je le redise pour qu’on ne puisse pas me prêter une vision qui n’est pas la mienne, l’orientation sexuelle, pour moi, n’est pas seulement réalité naturelle, mais fait partie de ce que je conçois comme « création bonne », comme les yeux bleus, être femme, homme, l’autisme, la trisomie, etc. Mais attention, dis-je seulement, parce que bien de ces faits sont aussi accompagnés de souffrances. Comme le salut, la croix est inscrite dans la création. Est-elle voulue par Dieu ?
Allons un pas plus loin, là où les choses se corsent.
« Réformés.ch » dans son article résumant les débats sur le mariage pour tous au sein de la FEPS fait de « l’expression de notre plénitude de créature » un « don de Dieu » :
« L’orientation sexuelle n’est pas un choix, mais un don de Dieu. » (Mise en évidence par AK)
Et les média reprennent ce terme, 24heures par exemple en fait une citation de la FEPS. C’est public et acquis maintenant.
Un don de Dieu ?
Le glissement des réalités naturelles, dont nombreuses nous échappent dans leur signification théologique, à travers les réalités faisant partie de la « bonne » création, « ce qui est bon » (Genèse 1), se poursuit vers le don et finalement la grâce de Dieu.
Ce qui est donné peut être simplement compris comme fait donné,« tohu-et-bohu », « terre déserte vide, et ténèbre à la surface de l’abîme » (Genèse 1,2), réalité théologique insondable, « abîme », mystère de Dieu, « nature », dirait le scientifique, nature pas encore nommée, donc inexistante, le théologien, pas encore sortie du chaos indéfini, terre avant « la terre ».
Ce qui est donné peut être compris comme voulu par Dieu, faisant partie de sa création « bonne » pour le théologien, étudiée par rapport à sa signification, « nature » nommée et étudiée comme telle par le scientifique1.
Ce qui est donné peut être compris comme « talent » (Matthieu 25) ou « charisme » (Romains 12 ; 1 Corinthiens 12), comme don au service de l’édification de l’Église, corps du Christ.
Et, finalement, ce qui est donné peut être compris comme grâce de Dieu en Jésus Christ et son Esprit en vue de la sanctification.
« Le grec charisma désigne le don, Ce mot ne se trouve que dans les épîtres pauliniennes (16 fois) et 1 Pierre 4,10. Le charisme se distingue de la grâce, non pas en tant que don gratuit, mais parce que contrairement à la grâce, il n’est pas « sanctifiant ». On peut le définir comme un don gratuit, surnaturel, passager, conféré en vue de l’utilité générale, pour l’édification du corps mystique du Christ. Le charisme n’est pas requis pour le salut comme l’est la grâce sanctifiante. C’est pourquoi Paul nous dit que Dieu « distribue à chacun ses dons, selon sa volonté » (1 Corinthiens 12,11), ce qui n’empêche pas de les demander dans la prière. Pouvant se greffer sur une aptitude naturelle, il demande cependant une inspiration spéciale du Saint Esprit (1 Corinthiens 14,32). L’Esprit le donne et le retire à son gré. C’est le signe le plus important du charisme, il est donné pour le bien de la communauté à laquelle appartint le bénéficiaire, et non pour son bien personnel (« en vue du bien pour tous » 1 Corinthiens 12,7) et pour bâtir le corps du Christ (Éphésiens 4,12 ; cf. 1 Corinthiens 14,4), » (Dictionnaire encyclopédique de la Bible ; Brepols, Maredsous 1987, p. 261)
Que l’orientation sexuelle soit une « bonne chose », c’est déjà pas mal ; mais tenons compte du fait qu’elle est aussi source de souffrances, et pas toujours vécue comme grâce et moyen de sanctification.
L’orientation sexuelle, « aptitude naturelle », don ou grâce de Dieu ? Faisons attention à l’utilisation des mots. Personnellement, encore une fois, je la mets d’abord du côté de notre nature, un fait comme bien d’autres avec lesquels nous devons faire.
Comment vivre notre liberté en tant que chrétiens, avec et à l’intérieur de ce qui est donné, y reconnaître ce qui est don Dieu et le mettre à son service ?
Armin Kressmann 2019
1 N’oublions pas que seulement la séparation et la mise à distance entre « créateur », Dieu, et « création », nature, a permis l’étude scientifique de la nature, nature en soi et non pas divinité intouchable.
