Notre Père et la tentation, Matthieu 6,13 (Mt 6,13) – Commentaire, exégèse

« Tenter et la tentation » – Theologisches Wörterbuch des Neuen Testaments, TWNT Kittel/Friedrich (traduction AK) :

« peïra, peïraô, peïrazô » en grec

« peïraô », de la racine « per- », est parenté à « peraô », qui veut dire « expérimenter, faire l’expérience »

1. « tenter – s’efforcer »

2. « tenter qqn. – mettre à l’épreuve »

3. « examiner »

4. « connaître par expérience »

« peïrazô », « faire une expérience, tenter qqn., mettre à l’épreuve »

« peïra ». « la tentative, l’épreuve, l’expérience »

Racine indo-européenne « bher- », « porter », grec « pherô » (Larousse, Dictionnaire des racines des langues européennes, 1994)

« L’utilisation dans le Nouveau Testament correspond à son utilisation profane.

Dans le NT une seule apparition interdit expressément de nommer Dieu causant la tentation » :

« Que nul, quand il est tenté (« peïrazomenos », « étant tenté »), ne dise : ‘Ma tentation (« « peïrazomaï », par Dieu « je suis tenté ») vient de Dieu.’ Car Dieu ne peut être tenté de faire le mal (« peïrastos estin kakôn », « intentable vers …, de faire le mal ») et ne tente personne. Chacun est tenté par sa propre convoitise, qui l’entraîne et le séduit. » (TOB, lettre de Jacques 1,13.14)

Jacques, de quoi parle-t-il ?

La note de bas page de la TOB dit, par rapport à ce passage :

« Dieu est incapable de tenter pour le mal » (voir Vulgate) … « le mal lui est étranger, il ne peut pousser à le commettre … L’homme est aguiché et séduit par ‘dame convoitise’. Celle-ci doit être rapprochée des passions qui guerroient dans les membres (Jc 4,1-12). Elle joue le même que ‘penchant mauvais’ ou encore ‘l’esprit de perversion et des ténèbres’ dans les écrits de Qumrân … Cette vision, qui différencie nettement l’épreuve de la tentation et soustrait cette dernière à l’action divine, prend une certaine distance vis-à-vis de l’Ancien Testament … »

Je reprends Kittel (trad. AK) :

« Jacques 1,13 s’oppose à des chrétiens exposés au danger de prendre la tentation à la légère ou de même prendre Dieu comme responsable de leurs péchés … Il fonde sa position à partir d’une conception sur Dieu qui ne trouve nulle part ailleurs dans la bible : Dieu est ‘intentable’, ne peut se laisser tenter de faire le mal et ne tente personne, c’est-à-dire : il ne tente personne à pécher, à commettre un ou le péché. Dans le verset 14 Jacques le dit d’une manière encore plus prononcée : l’origine ou la cause de la tentation – et cela veut dire au même temps du péché -, est l’impulsion, le désir mauvais en tout humain. Cependant, d’où celui-ci vient, n’est pas dit.

En contredit d’une certaine façon les versets Jacques 1,2s …

« Prenez de très bon coeur, mes frères, touts les épreuves (en grec le même terme que tentations) par lesquelles vous passez, sachant que le test auquel votre foi est soumise produit de l’endurance. »

« Ici le même vocable est utilisé d’une manière totalement différente … à comprendre par ‘peïrasmoi’ les souffrances liées à la foi … sources de joie et test du sérieux et de la fermeté de la foi. Cependant manque une indication pour dire que Dieu soit à l’origine de la souffrance … Cela nous fait penser aux béatitudes … »

Épreuve et tentation, en tout cas cette dernière ne peut être attribuée à Dieu.

Donc de quoi parle le Notre Père, ou Jésus, quand il nous invite à prier le Notre Père ?

Le contexte n’est pas celui de la lettre de Jacques, – « N’est-ce pas de vos plaisirs qui guerroient dans vos membres » (Jc 4,1), et encore, mais dans ce cas-là, celui de Jc 1 -, mais celui de l’évangile selon Matthieu, dans la suite des tentations de l’homme Jésus (Mt 4,1ss) et, comme Kittel le soulève lui-même, des béatitudes ; l’enjeu ne sont pas nos désirs et plaisirs, les « péché mignons », même pas la morale, mais la foi, LE péché, la rupture de la relation, du lien, de l’alliance que nous entretenons fondamentalement avec Dieu et les autres. Il y est question de vie et de mort, de cette tentation par le mal, du Malin, du Tentateur (6,13b TOB), c’est-à-dire de Satan (note TOB), l’Adversaire (Job), en situation d’épreuve, d’adversité (Job 1,6ss) donc de vulnérabilité telle que la foi en Dieu et les forces de vie et de survie sont mises à l’épreuve. Dieu n’est pas celui qui tente, mais en tant que maître sur la vie et la mort, en tout cas par le croyant reconnu comme tel, intimement lié à et impliqué dans ces situations de survie où la foi est mise à l’épreuve ; c’est ce dont parle Jacques au début de sa lettre, et c’est le cas quand l’Esprit (de Dieu) pousse Jésus dans le désert en Mt 4,1 :

« Alors Jésus1 fut conduit par l’Esprit au désert, pour être tenté par le diable. »

Le changement des paroles du Notre Père,

de dire désormais « et ne nous laisse pas entrer en tentation »

au lieu de l’ancienne formule « et ne nous soumets pas à la tentation »

se justifie quand on parle de morale et séduction, dont l’homme est entièrement responsable,

mais ne se justifie pas quand il s’agit de situations de vie où notre foi est fondamentalement mise à l’épreuve, devant la mort, la maladie, les violences de la vie, les injustices, etc.

Au fond, nous devrions dire :

« Et ne nous mènes pas, Père, en des situations telles que notre foi en toi et le sens de la vie sont mises à l’épreuve, là où le mal, la mort, risque de l’emporter sur la vie et avec lui, notre foi, en toi et les autres ; ne nous laisse pas perdre notre foi. »

Pourquoi déresponsabilise l’Église Dieu de toute épreuve ? Je me demande pourquoi ?

Pourquoi l’Église se met du côté de Dieu, contre Job, « l’ami, le serviteur de Dieu » (Job 1,8), et contre Jésus, « le Fils de l’Homme, et de Dieu » ?

Pourquoi opte-t-elle pour la morale, et non pas la foi ? la divinité de Dieu, et non pas son humanité ?

Armin Kressmann 2018

1 Et c’est l’homme dont il est question ici, l’humain, son humanité est mise à l’épreuve ; ce serait trop facile et pour nous les humains totalement futile et inutile de dire qu’il a résisté à la tentation par Satan parce qu’il est Dieu.

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