Un acte symbolique avec les jeunes pour chasser les démons qui nous hantent (Marc 1,21-28)
(avec la TOB, Traduction œcuménique de la Bible ; Etienne Trocmé, l’Évangile selon Saint Marc, Labor et Fides, 2000 ; Elian Cuvillier, L’évangile de Marc, Bayard, Labor et Fides, 2002)
Tout le début de l’évangile de Marc, – invitation que Jésus nous adresse, dans la suite du Baptiste (Mc 1,4), à « se tourner vers le Règne de Dieu », résumé de l’Évangile, de la « bonne nouvelle » (Mc 1,15) -, est habité par la question de l’esprit. Quels esprits règnent dans ce monde, dans nos vies, nos lieux du vivre ensemble, nos communautés et nos réseaux sociaux, nos familles et nos Églises ? Des sales esprits ou l’Esprit de Dieu ? La première action concrète du Christ (« celui que Dieu a choisi » ; Mc 1,11), après l’appel des premiers disciples (Mc 1,16-20), tourne autour de cet enjeu, et on pourrait déduire de ce qui s’y passe que le Règne de Dieu est réalité là où règne son Esprit, que notre vocation comme chrétiens est chasser les mauvais esprit de nos lieux de vie pour faire place à l’Esprit de Dieu en et par lequel chacun, chacune trouve sa place et peut être ce qu’il est profondément, – issu de la « bonne création » (Gn 1), enfant de Dieu -, une personne unique, comme Dieu est unique, portant un nom personnel, Simon, André, Jacques ou Jean comme les premiers disciples :
v. 8 Jean-Baptiste dit : « lui (celui qui est plus fort que nous) vous baptisera d’Esprit Saint », en grec : en, « dans l’Esprit Saint »
v. 10 « il (Jésus) vit les cieux se déchirer et l’Esprit, comme une colombe, descendre sur lui. », en grec eis, « vers, jusqu’à, dans »
v. 23 « Justement il y avait dans leur synagogue un homme possédé d’un esprit impur », en grec en, « un homme dans un esprit sale »
L’homme, – qui ne porte pas de nom -, est possédé, c’est juste, mais pas autrement que Jésus est « possédé » par le Saint Esprit, l’Esprit de de Dieu (v. 8). Nous y reconnaissons le même mouvement, l’esprit ambiant, ici un « mauvais esprit, impur et sale » (« pneuma akatharton » … « tournure que nous traduisons par ‘sale esprit’ pour essayer d’en rendre la tonalité surprenante » E. Trocmé) , qui prend possession de la personne, Esprit de Dieu l’identifiant comme personne suite au baptême de Jésus, « tu est mon fils bien-aimé », la dépersonnalisant dans la situation de cet homme qui, dans notre récit, est quasiment effacé. En résulte que celui qui « est possédé », au premier cas, par le Saint Esprit, est délivré et libéré, – le ciel lui est ouvert -, au deuxième cas, l’esprit sale, enfermé ; mais dans les deux cas l’esprit respectif habite finalement le sujet. Jésus, le Christ, par son action, – la première « efficace » de tout l’évangile, donc emblématique et significative pour l’ensemble de ses actions, pour l’action ou la mission chrétienne tout court -, fait taire et chasse ce sale esprit qui avait pris possession de l’homme et, par là, sans que cela soit explicité, lui ouvre le ciel, l’espace où souffle l’Esprit Saint, le Règne de Dieu.
Les sales esprits qui nous possèdent avec violence (v. 23-26) sont les démons qui nous habitent finalement ; le Christ nous invite à les faire taire et les chasser, comme il l’a fait tout au long de son ministère et à son début déjà (v. 25 ; 34) :
« Il guérit de nombreux malades souffrant de maux de toutes sortes et il chassa de nombreux démons ; et il ne laissait pas parler les démons, parce que ceux-ci le connaissaient. » (v. 34)
Ce ministère nous est confié, à tous ceux et celles qui veulent entrer dans sa succession :
« Les esprits impurs, quand il le voyaient, se jetaient à ses pieds et criaient : ‘Tu es le Fils de Dieu.’ Et il leur commandait très sévèrement de ne pas le faire connaître.
Il (Jésus) monte à la montagne et il appelle ceux qu’il voulait. Ils vinrent à lui et il en établit douze pour être avec lui et pour les envoyer prêcher avec pouvoir de chasser les démons. » (Marc 3,11-15)
Les démons : dai- indo-européen, « partager », grec daiomaï, partager, … diviser, démon, « qui répartit les destinées » (Larousse, Dictionnaire des racines des langues européennes)
Rarement les commentateurs relèvent le fait que l’esprit impur, dans notre texte, habite la synagogue et possède ainsi « l’homme possédé » ; elle-même, semble-t-il, ne s’en rend pas compte de cette ambiance ; sinon elle aurait exclu le « possédé » ; elle est imprégnée de cet esprit malsain.
Et ce qui était le cas à l’époque de Jésus est toujours d’actualité possible dans nos Églises, une projection malsaine qui dépersonnalise des individus au nom de doctrines stériles :
« … Marc veut montrer sans aucune ambiguïté possible que la prédication chrétienne dans les synagogues ne doit pas tourner à la discussion érudite autour de textes de l’Écriture, mais qu’elle doit toujours constituer un événement spectaculaire et conduire des auditeurs à la repentance et à la foi immédiates. » (E. Trocmé, p. 55)
Marc cependant, en premier lieu, ne s’adresse pas aux personnes épileptiques, notre homme soi-disant « possédé », mais à cette Église qui, tout en se disant chrétienne, peut être « possédée » comme cette synagogue d’antan par une ambiance ou un esprit malsains :
« Qui parlent en nous ? Qui nous ‘possède’ ? Quels sont les esprits impurs qui agissent en nous ? Quelles sont les idéologies dominantes, les convictions toutes faites, les dogmes, les sécurités qui parlent à notre place ? » (E. Cuvillier, p. 42)
Armin Kressmann 2018