Jean 9 (Jn 9) Une piste exégétique et homilétique – Œuvrer les œuvres de Dieu

Les œuvres bonnes : œuvrer (« ergazomaï », « erga »)… et « créer » (« poïein ») … les œuvres de Dieu (Genèse, évangile selon Jean)

(avec Jean Zumstein, L’évangile selon saint Jean (1-12), Labor et Fides, Genève 2014)

« Le récit de Jn 9 met en œuvre un langage symbolique.

Le propre du langage symbolique consiste dans l’articulation d’un second à un sens premier. Comme l’écrit P. Ricoeur : « Il y a symbole lorsque le langage produit des signes de degré composé où le sens, non contant de désigner quelque chose, désigne un autre sens qui ne saurait être atteint que dans et par sa visée. » … Les symboles sont donc des expressions à double sens des groupes de signe « dont la texture intentionnelle appelle une lecture d’un autre sens, dans le sens premier, littéral, immédiat ». Si le propre du symbole est de désigner un sens indirect dans et par un sens direct, quelle est alors la place du travail d’interprétation et comment doit-il être conduit ? D’une part, même si certains termes utilisés dans le récit ont un sens métaphorique, il est insuffisant de limiter le travail d’interprétation au décryptage de quelque chose qui ne serait qu’un habillage superficiel permettant d’accéder au sens second, seul important. Avec Ricoeur, il faut souligner d’une part, que le sens second ne se lit que dans le sens premier, littéral, immédiat ; il faut ajouter, d’une part, que l’enquête ne concerne pas quelques concepts, mais l’ensemble du récit. » (p. 313, note 9)

Mettons-nous donc au travail d’interprétation pour :

  • à partir de la situation de vie qui est la nôtre, en ce qui me concerne dans le vivre ensemble avec des personnes en situation de handicap, donc « handicapées » par un mécanisme où s’entrechoquent des éléments de l’être comme faits, – « aveugle-né », la personne telle qu’elle est (« de naissance »), avec ses forces et ses faiblesses, ses capacités et ses incapacités -, et des éléments de la situation dans laquelle cette personne se retrouve, son environnement. En situation de handicap est la résultante entre ce qu’est une personne et son environnement, être handicapé a donc un double sens, passif et actif.

  • en relevant qu’ « être handicapé » dans son aspect passif, c.-à-d. dans son aspect personnel, n’est pas une maladie, mais une réalité comme être femme, homme, noir, blanc, grand, petit, etc., donc un état de fait

  • nous poser la question quel est le sens théologique et anthropologique premier, littéral

  • puis le sens d’ordre second

  • donc le miracle dans son double sens, premier et second, tels que relevés par J. Zumstein et P. Ricoeur

v. 1 aveugle-né … de naissance … création ?

L’aveugle est aveugle de naissance, la cécité fait partie de son identité ; il a été « créé », avec toute la prudence que nécessite ce constat, aveugle. Sa cécité est un fait qui ne peut pas être interprété a priori négativement ; pour le savoir, il faudrait poser la question à la personne même ; le texte biblique, par rapport à ce vécu, reste silencieux. De quoi souffre l’aveugle-né ? Entre autre, c’est vrai, du fait qu’il « ne voit pas », ce qui est exprimé par l’affirmation du verset 25 : « j’étais aveugle … maintenant je vois » ; mais que voit-il ? Aussi, et surtout peut-être, cette réalité du second ordre qu’est toute la visée du texte, la lumière du monde, v. 5 ?

v. 2 à qui la faute ? le péché ? A qui la faute qu’il ne voie pas ou, pour les disciples et la logique humaine habituelle, « qu’il soit né aveugle ». Les disciples font de son être un péché, phénomène connu et toujours d’actualité à l’égard de bien d’identités humaines, notamment le racisme et l’antisémitisme.

v. 3 à personne

« Les versets 3-5 introduisent les catégories théologiques qui ouvrent la voie à une interprétation symbolique du miracle ; ils formulent l’horizon théologique sur le fond duquel l’ensemble du récit doit être lu. (p. 313) …

La double dénégation (« ni lui, ni ses parents ») brise le lien établi par les disciples entre péché et infirmité. La cécité de l’aveugle ne doit pas être comprise comme l’expression du châtiment divin. » (p. 317)

En situation donnée, le handicap met en échec ; négativement interprété, celui-ci retombe sur la personne, ce qui fait qu’elle-même est mal perçue ; c’est un cercle vicieux. Finalement, la personne n’est plus appréciée en elle-même, comme personne, mais jugée à travers son échec : « c’est un handicapé », plus, pas une personne.

Par ailleurs, le texte lui-même joue sur ce registre, il appelle la personne « l’aveugle-né » et ne pas par son prénom. Il serait donc intéressant de comparer notre histoire avec celle de Bartimée, aveugle lui aussi (Mc 10,46-52 ; et pourquoi celui-ci n’est nommé ni chez Matthieu, ni chez Luc).

Jésus évacue cet obstacle ; il recentre le regard sur la personne, et non pas sur sa cécité : théologiquement, quelle est la visée de la personnalité de toute personne ? Que les œuvres de Dieu se manifestent en elle :

« la manifestation œuvres de Dieu en lui » … les œuvres, « ta erga » … nous renvoient à la création, où la Septante (LXX), la traduction grecque de l’Ancien Testament, utilise le même terme « ta erga » Genèse 2,2 :

« Dieu acheva au septième jour l’œuvre (au pluriel en grec) qu’il avait faite. ».

Ainsi la finalité de la création, le septième jour, est évoquée, à travers notre texte, « la lumière du monde ».

« en » … en grec, ayant un champs sémantique large, nous amène à une vision élargie de ce qui se passe, en lui, avec lui, à travers lui et par lui :

« en profondeur de lui, dans son intimité, dans son être, chez lui, auprès de lui, avec lui, en compagnie de lui, avec son aide, en sa présence, par rapport à lui, à cause de lui, etc. etc. »

Ce n’est pas seulement une affaire personnelle et privée, mais une qui concerne tout le monde, l’histoire du salut dans son ensemble :

le lien entre la création et le salut, le salut inscrit dans la création, l’incarnation comme réalité créationnelle porteuse de salut en Jésus Christ, « lumière du monde ».

Devenir lumière du monde est la visée déjà inscrite dans la création, rendue possible grâce à ce Jésus Christ ayant évacué cet obstacle qui nous empêche de l’être, ce regard qui handicape, le regard des Pharisien qui met en situation de handicap, parce qu’il juge la personne fautive ; la projection, « faute, péché ! », devient pour eux ce qui caractérise la personne :

« Tu n’es que péché » (v. 34 « tu es né dans les péchés »)

Faisons un petit détour et venons à la réalité qui nous occupe, en posant la question : une personne trisomique, – et pour plusieurs raisons je prends celle-ci -, qu’est-ce qu’il y a à guérir ?

À qui la faute ?

Où donc est le problème ?

Sa souffrance, notre regard ?

et au temps de Jésus ?

v. 4 … « il faut que nous fassions les œuvres de Celui qui m’a envoyé tant qu’il fait jour ; la nuit vient où personne ne peut travailler »

« Le pronom ‘nous’ est préférable à la variante ‘moi’, car, d’une part, l’attestation documentaire est meilleure, d’autre part, le passage de la prmière personne du pluriel à la première du singulier est plus probable que l’inverse. » (J. Zumstein)

… en une phrase trois fois « erga » : pour « faire », « les œuvres » et « travailler », trois fois, donc définitif dans la pensé biblique :

« il faut que nous œuvrions les œuvres de Celui qui m’a envoyé tant qu’il fait jour ; la nuit vient où personne ne peut œuvrer »

v. 5 « Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. » … « Tant que je suis dans le monde, il fait jour » … Proclamer Jésus, « c’est un prophète » (v. 17), son œuvre, « j’étais aveugle et maintenant je vois » (v. 25) et devenir son disciple (v. 28).

v. 7 Siloé – Envoyé (« apôtre »)

Nous faire des apôtres, les uns les autres ? … « disciple » (v. 27.28)

Le miracle – A travers et grâce à Jésus, lumière du monde, et son œuvre, devenir son disciple et son envoyé, apôtre, pour œuvrer les œuvres de Dieu dans la monde, c.-à-d. voir en tout un chacun une personne en tant que telle, voulue, créée par Dieu, lumière du monde, ce qu’elle est au-delà tous les obstacles, les handicaps, qui faussent le regard porté sur elle.

Le v. 32, « Jamais on n’a entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux à un aveugle de naissance » …

… nous renvoie au mystère de la foi, le mystère des miracles et de la présence réelle de Dieu parmi nous, – le double sens du symbole mentionné en haut, littéral et spirituel -, pour Jean au Dieu caché ;

« Personne n’a jamais vu Dieu … » Jn 1,18 … « mais Dieu Fils unique … nous l’a dévoilé. »

Si, avec toute la prudence nécessaire, je dis que l’aveugle-né est en tant que tel œuvre de Dieu, créé ainsi, que, en principe, sa cécité n’est pas le problème (même si évidemment elle « pose » problème), se pose la question du problème : où est-il ?

Où est le problème ? Où est le handicap ?

assis (v. 8)

… debout

… résurrection

mendiant (v. 8) … hétéronome

… théonome

… disciple (v. 27.28 et apôtre (v. 7)

aveugle (v. 25)

« je vois »

… lumière du monde

« né dans le péché » (v. 34)

jeté dehors (v. 34.35)

… « je crois » (v. 38)

« La nuit vient où personne ne peut travailler » (v.4)

Assis, au lieu d’être debout, mendiant, donc hétéronome, aveugle, c’est vrai, disqualifié, « né dans le péché » et, malgré ou à cause du miracle, même « guéri », l’aveugle-né devenu voyant-désormais est toujours exclu, « jeté dehors », handicapé même sans handicap

Ainsi le sabbat (v. 14), censé être jour de lumière, jour du Seigneur, célébration de la création, redevient nuit, pour ceux et celles qui n’arrivent pas à recevoir la lumière du monde, ce qui nous ramène au prologue (Jean 1,10-12) :

« Le Verbe était la vraie lumière qui, en venant dans le monde, illumine tout homme.

Il était dans le monde,

et le monde fut par lui,

et le monde ne l’a pas reconnu.

Il est venu dans son propre bien,

et les siens ne l’ont pas reconnu.

Mais ceux qui l’ont reçu,

à ceux qui croient en son nom,

il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu »

Armin Kressmann 2017

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