Sur ma table, plusieurs dossiers, dont :
- Marie et la question de son humanité … Je renvoie à la « dispute » organisée pour le 13 septembre à la cathédrale1 : le journal « Le Temps » parle de « vierge oecuménique », là où je parle rigoureusement d’une « Marie protestante protestant », au-delà des débats oecuméniques, inscrite dans la vie de toute femme et en tant que telle de tout humain ; en conséquence l’enjeu n’est pas seulement une question entre Églises, celle d’une statue ou non, mais, tout court, une question du statut (!) de la femme dans notre société, de la solidarité des Églises avec les femmes dans leur combat pour l’égalité.
- Les visites des classes, où d’une manière très habile les Église ont été exclues des écoles, parce que mon Église n’a pas fait son travail en tant qu’Église protestante réformée, comme je l’ai proposé et aussi accompli, pour faire comprendre au politique, le scolaire et l’éducatif, que le spirituel, sans le confondre avec le religieux, fait partie de l’humain comme le bio-psycho-social.
- Un travail avec le comité de l’Étincelle, communauté d’Église de personnes mentalement handicapées, dossier qui me renvoie à l’évangile de Jean et les exégètes qui le commentent sans aucune réflexion sur le statut (!) des personnes vivant aujourd’hui dans des situations des « miraculés » d’antan, « en situation de handicap » ; comme si les miracles ne les concernaient qu’au niveau de la prière et de la foi. Encore une fois, nous manque une réflexion protestante réformée propre, notamment sur la « guérison » et les « miracles », l’abandonnant au milieux qui laissent le soin des personnes exclues à la charitabilité des privilégiés, qui font donc de l’aumônerie une aumône, réduisant les sujets qui se retrouvent dans leur situation de handicap devant Dieu en objets de charité de l’Église valorisant ses œuvres pour se justifier devant Dieu et le monde.
- « Sainte-Claire Vevey », le défi de transformer une des églises de la paroisse réformée de Vevey en ce que j’appelle « église inclusive »2.
A tous ces dossiers, qu’est-ce qui leur est commun ?
La question d’une interprétation supranaturaliste de l’Évangile !
- … une alliance malsaine entre les organisations et institutions qui se comprennent Église, seule Église, Église exclusive, revendiquant les miracles (ou la sainteté) pour elles-mêmes, et les autres, tous ceux et celles qui récusent toute Église, l’Évangile, parce qu’ils ne croient pas aux miracles
- … une alliance malsaine entre ceux qui ne veulent pas seulement séparer l’Église de l’État, mais l’Église du monde tel qu’il est comme fait, qui donc, cela vient au même, n’aiment pas le monde, la vie telle qu’elle est, mais seulement « leur » monde, leur vie, en excluant tous ceux et celles qui ne sommes pas comme eux
- … une mauvaise lecture du double commandement d’amour, mettant le second commandement à la place du premier, du « grand », confondant l’autre et le même, invitant, au nom du second au lieu du premier commandement, à aimer l’autre, donc comme même et non pas comme autre.
Le moment est décisif : entre Églises et autres communautés religieuses nous séparer du monde ou en tant qu’Église multitudiniste, « avec le monde » et les milieux qui se comprennent multitudinistes comme nous, nous différencier par rapport aux autres Églises et communautés religieuses ?
Il y a urgence de (re)formuler une théologie chrétienne sans supranaturalisme, ou, tout court, de faire de la théologie dans le monde en l’assumant tel qu’il est comme « fait ». Encore et toujours nous en faisons de l’Évangile un message pour l’au-delà, au lieu d’une bonne nouvelle pour ce monde, un monde non pas sans miracles, mais avec des miracles qui changent le monde, ce monde, notre monde et notre quotidien, donc un Évangile qui est miracle effectif ici et maintenant et assume la responsabilité chrétienne qui nous est confiée par Jésus Christ et la réalise aussi :
« Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. » (Matthieu 10,18)
« En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais ; il en fera même de plus grandes, parce que je vais au Père. » (Jean 14,12)
En tant qu’Église réformée nous avons des problèmes de pertinence, parce que nous nous soustrayons à cette mission, annoncer d’une manière convaincante que l’Évangile change le monde tel qu’il est quand tout simplement il reçoit l’Évangile, que ce monde peut changer sans nous, sans Églises, seulement avec l’Évangile et sans obligation de devenir Église. Nous n’avons plus de voix propre, parce que, au nom d’un œcuménisme indifférencié, où nous cherchons à plaire au lieu de dire ce que nous croyons, nous n’osons pas faire le travail qui est le nôtre, faire de la théologie, une théologie pour notre temps, protestante et réformée, c’est-à-dire lire dans la bible ce qui y est aussi écrit, écrit dans et pour la réalité qui est la nôtre, ce monde-ci. On n’a plus besoin de nous, parce que dans une alliance contre foi nous réfutons le « monde », la réalité telle qu’elle est, les faits (scientifiques). Nous le considérons comme réalité opposée et éloignée de l’Évangile, au lieu de le recevoir en tant que tel, nous sommes incapables de le recevoir aussi et d’abord comme création, bonne et telle que voulue par Dieu, hommes et femmes, blancs et noirs, roux et blonds, d’ici ou d’ailleurs, trisomiques et « bisomiques », « homos » et « hétéros », avec traits autistiques, psychotiques ou dépressifs, humains, faillibles, que nous nous appellions Pierre, Jean et Jacques ou Marie.
Luttons contre le clivage entre ceux et celles qui possèdent, possèdent « tout », et ceux et celles qui ne possèdent pas, « rien », soit-il terre, argent, savoir ou foi.
Une Église inclusive … Sainte-Claire … devient réalité, miracle, quand les dépossédés de toute sorte se rassemblent, tous ceux et celles qui ne prétendent pas ou plus posséder … qui ne possèdent que la pauvreté de Sainte-Claire comme « nous », « notre » pauvreté, le manque de Dieu qui rejoint celui du Christ et de toute cette humanité qui dit avec le psalmiste
« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Psaume 22,1 ; Matthieu 27,46 ; Marc 15,34),
sans en faire une théologie de la mort de Dieu,
mais en (re)faisant une théologie de la présence de ce Dieu qui ne se laisse pas posséder,
en paraphrasant Dietrich Bonhoeffer,
en Église sans Église,
communauté croyante des dépossédés, en manque de Dieu, et de vérité, et de certitude, de terre, d’argent, d’intelligence, de savoir et de foi, les êtres-en-défaut, en défaut de statues et de statuts,
en sa présence comme abandonné abandonnés par Dieu :
un Dieu qui ne veut pas changer le monde, mais l’aimer, et qui le change par là, parce qu’il l’aime.
Armin Kressmann 2017
1 flash EERV août 2017 : « Faut-il ériger une statue dans l’espace laissé vide du trumeau au de Montfalcon? Vierge, Christ, allégorie de l’Evangile, miroir… Nous vous invitons à une «dispute» toute vaudoise sur cette question mercredi 13 septembre de 18h à 19h30 à la cathédrale. Avec les interventions de Claire Huguenin, conservatrice de la Cathédrale, Jocelyne Müller, pasteur, Jacques-André Haury, médecin et ancien député, Xavier Paillard, pasteur et président du Conseil synodal, ainsi qu’un représentant de l’Eglise catholique. »
2 Non pas réductible à la question de l’accueil des personnes dites « LGTB ».