L’Église évangélique réformée du canton de Vaud (EERV) est-elle (encore) réformée ?

Nous nous sommes donc vus, une douzaine de ministres retraités de l’Église évangélique réformée du canton de Vaud, pour une rencontre qui a pris la forme d’un séminaire, pour débattre du « sacerdoce universel » à la lumière de la Réforme, plus particulièrement dans la logique des débats menés à la Dispute de Lausanne de 1536 :

  • Une revue de quelques textes historiques
  • Une « dispute », entre nous, sur deux questions : notre Église, que nous aimons et respectons tous et toutes, est-elle (encore) réformée ? Et, quelque soit la réponse, est-ce même souhaitable qu’elle le soit ?

Constats :

  • Les jeux étant joués d’avance, – les Bernois voulait imposer la Réforme dans le Pays de Vaud -, les Réformateurs de l’époque, Farel, Viret et Calvin, avec une grande liberté et une intelligence exceptionnelle ont réussi lors de cette dispute à la cathédrale de Lausanne à prendre leur place et à promouvoir leur vision de l’Église et de la foi évangélique.
  • Un débat en langue vernaculaire, en l’occurrence le français.
  • Les Écritures comme seul référentiel (« canon ») pour défendre leurs idées.
  • L’abandon d’une vision de « sacerdoce », – qui fondamentalement lors de la messe reprend le sacrifice unique accompli en et par Jésus Christ -, en faveur d’un « presbytérianisme » radical, un régime de « l’ancienneté » par la sagesse, au point de mettre tous les charismes ou ministères au même plan, de l’apôtre, évangéliste, docteur, diacre jusqu’au prêtre et magistrat civil, tous au service de la proclamation de la Parole. Au lieu de « sacerdoce universel » nous devrions parler de « prêtrise universelle », comme en allemand, « allgemeines Priestertum ».
  • Dans ces fonctions ou ministères spécifiques, les uns s’occupant des « âmes », l’édification du peuple des croyants, les autres du « corps » ou de l’ordre public. S’agissant d’intérêt public à la lumière de l’Évangile, sans domination par une « clergé » quelconque, on ne peut pas parler de théocratie ; que dire donc : « démocratie évangélique » ou « évangélicocratie démocratique » ?
  • Par rapport à la question que nous appelons aujourd’hui « oecuménique », là aussi une radicalité étonnante : « … nous devons reconnaître comme Église de Dieu toute congrégation en laquelle ils sont bien purement observés, ce qui ne peut être sans que la pure Parole de Dieu y soit aussi annoncée et reçue ».
  • Donc, en conclusion, Farel et Viret à Lausanne allant plus loin encore que Zwingli à Zurich ou Luther en Allemagne.

Et notre Église où en est-elle aujourd’hui, elle qui a fait de la cathédrale de Lausanne un « lieu phare » ?

Personne n’a osé affirmer que notre Église n’était plus réformée, mais bien des doutes ont été avancés :

  • Déjà au niveau du langage, au lieu de parler de « prêtrise », – « presbytérianisme », ancienneté -, nous parlons toujours de « sacerdoce », donc de sacrifice.
  • Une consécration ambivalente entre « caractère indélébile » (catholique) et « en vue d’un ministère » porté par délégation, donc une fonction.
  • En témoigne particulièrement, pour les ministres retraités, l’interdiction d’être membres d’un conseil paroissial ; un pasteur ou diacre retraité est donc autre chose que simple laïc.
  • Le recul de la « Parole », c’est-à-dire de sa proclamation par la prédication, par rapport à la liturgie … la « messe » … et le témoignage (les émotions).
  • Une liturgie de moins en moins biblique.
  • L’ampleur des tâches pastorales autres que « service de la Parole », donc une dilution de la spécificité de la profession de pasteur.
  • La confusion des ministères de pasteurs et de diacres.
  • Une personnalisation du port de la robe pastorale ou de l’aube blanche dissociée de leurs significations symboliques.
  • Le fait que le ministres doivent aujourd’hui davantage porter le ministère, dont on ne sait plus ce qu’il est exactement (absence d’une déontologie professionnelle), au lieu que le ministère porte les ministres ; donc une personnalisation du ministère ; la personne et sa personnalité l’emportent sur la fonction.

Serait-ce grave que le protestantisme réformé disparaisse ?

En soi, je pense que non, aussi longtemps que tous ceux et celles qui sont encore attachés à l’Évangile trouvent une place ailleurs dans le paysage des Églises et communautés chrétiennes (les « congrégations » de Viret).

Cependant, à toutes ces Églises et communautés reste adressée cet appel de la « pure observation de la Parole de Dieu » ; entre celles qui risquent de relativiser voire de trahir celle-ci dans le jeu des pouvoirs et intérêts internes et celles qui défendent la parole biblique sans en prendre distance par la ré-flexion, nous les réformés avons encore le mandat, me semble-t-il, de chercher le sens, de nous disputer, de nous battre avec et devant cette Parole, de mettre en balance l’intelligence humaine et de défendre que la vérité n’appartient qu’à Dieu seul, comme la gloire, donc à chercher sa trace dans la bible et le débat entre tous et toutes, appeléEs à être « anciens », « prêtres », « presbytres », tous et toutes ministres du saint Évangile, allant en avant, devant pour défendre le salut en Jésus Christ offert à tous.

Armin Kressmann 2017

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