Lettre ouverte à Daniel Fatzer (EERV, Église évangélique réformée du canton de Vaud)

Lettre ouverte, donc publique, comme souhaité par toi, cher Daniel

Cher Daniel,

Me voici pour répondre au défi que tu me lances : tu attends de moi, comme de tous tes collègues, que je me positionne, publiquement, d’un côté ou de l’autre, avec toi ou contre toi. Avant de répondre à cette pro-vocation, – dans le sens profond de ce terme, appel qui attend une réponse -, je me permets de te poser préalablement cette question-ci, à laquelle je n’attends pas forcément une réponse : T’aimes-tu toi-même ? Je pose cette question, parce que je t’aime bien et je compatis, – n’est-ce pas l’empathie qui est au centre de notre foi et n’est-ce pas ce que tu pointes tout au fond ? -, et c’est la raison pour laquelle je t’ai déjà visité plusieurs fois. Je cherche le dialogue, comme je l’ai fait et je le fais aussi avec nos autres collègues licenciés ; j’y parviens parfois et parfois je n’y parviens pas. Dans ce dialogue qui est le nôtre, et pour lequel je te remercie, j’essaie d’écouter et j’essaie de donner mes réponses aux questions que tu soulèves. Mais l’amitié ne semble pas te suffire et les réponses que je t’apporte lors de nos rencontres non plus. Tu me reproches ma « neutralité », « qu’en prenant de la hauteur » je ne me positionne pas. Tu mets même en avant la fameuse parole de Martin Luther King qui dit : « A la fin, nous nous souviendrons pas des mots de nos ennemis, mais des silences de nos amis ». Pourtant, en te rendant visite, je réponds déjà à ton appel, et c’est en soi une réponse. Mais tu veux plus, tu veux que je partage ta vision du monde et de l’Église, en l’occurrence celle d’une direction d’église autoritaire1. Mon ami, la loi, quand elle est appliquée, est toujours autoritaire. Voilà le problème : l’Église, l’EERV comme institution, en choisissant à notre égard un rapport d’autorité d’employeur à nous ses employés et en donnant au conseil synodal tout le pouvoir pour exercer cette autorité, a choisi un système autoritaire ; les paroisses ont lâché leur pouvoir institutionnel et l’ont remis entièrement à l’exécutive que sont nos « autorités ». Davantage, nous, en tant que ministres, n’avons aucune autre place dans l’organigramme de notre Église que celle d’employés, dont les droits sont purement contractuels, régis par un contrat collectif de travail. Au synode, oui, nous sommes bien représentés, mais pas pour défendre nos intérêts comme « ministres », mais ceux des différents lieux d’Église où nous sommes engagés et qui nous ont délégués, paroisses, aumôneries ou autres. Structurellement, tu ne devrais donc pas viser le conseil synodal, mais le synode, le parlement de notre Église.

Maintenant, pour répondre plus spécifiquement à ta sollicitation, je dirais plusieurs choses :

Tu as raison de dénoncer une loi du travail suisse tellement libérale que nous sommes, comme employés, peu protégés, en particulier contre le licenciement. Mais ta grève de la faim, tu ne l’as pas lancée dans cet esprit-là. Tu reproches au conseil synodal d’avoir fait son travail, celui que le synode lui a demandé, à savoir d’appliquer la loi, telle qu’elle est, aussi à ton égard. Ce conseil synodal, l’a-t-il bien fait ? Je n’en sais rien, je sais seulement, qu’il n’a pas l’audace de ne pas le faire, ou avec une liberté qu’à la limite le synode pourrait lui reprocher. Est-ce que les licenciements sont justifiés ? Je n’en sais rien, personne hors conseil synodal, à ce jour, a mené une enquête plus approfondie. Chaque situation est particulière, c’est banal, et le conseil synodal a raison quand il le répète, et nous, comme employés, ne connaissons pas les détails. Une exception peut-être il y a, justement la tienne, ton licenciement à toi, dont nous connaissons les circonstances, parce que tous les média en parlent : tu as eu le courage de dénoncer une stricte application de cette dure loi que j’ai évoquée, mais en la transgressant toi-même. Cela s’appelle désobéissance civile, voire objection de conscience, et cela est impressionnant. Mais celui qui le fait ne peut réclamer la protection de cette même loi, de celle qu’il a consciemment transgressée lui-même. En plus, que cela te plaise ou non, en mentionnant des collègues avec leurs noms, sans demander leur accord, tu les as instrumentalisés, à limite enfreint l’impératif catégorique. La transgression est évidente, faute il y a, pour et dans le cadre de la loi. Est-elle grave, cette faute ? Moi, à la place de nos autorités, je t’aurais peut-être aussi licencié, maintenant en revisitant la situation, probablement, je te réintégrerais, transgresserais donc moi-même les règles que synode, radio et peuple suisse ont établies. Mais ce n’est pas prévu dans l’ordre des choses tel que les règles actuelles le prévoient, c’est d’un autre ordre, celui de l’Évangile, qui transcende règles et loi, l’ordre naturel des choses.

Aujourd’hui cependant, il ne s’agit plus d’ordre, ni de loi, ni de raison ; en te mettant en grève de la faim, tu as convoqué la vie et la mort, ce que je pouvais longtemps prendre comme acte symbolique, un jeu où on se défie mutuellement, sans mettre la vie elle-même en danger, ni la sienne, ni celle des autres, donc avec distance voir humour : le fou défie le roi. Ce lundi cependant, tu m’as dit qu’il ne s’agirait plus de « jeu » ou de « comédie », – chez moi toujours dans le sens noble des termes, tout « drame » peut être trois choses, « comédie », « tragédie » ou « tragi-comédie » -, mais, justement, d’une tragédie. Que l’image de l’Église soit entachée, ce n’est pas tragique. Nous ne sommes pas là pour soigner une image. Mais quand des existences sont menacées, quand souffrances physiques, psychiques, sociales voire spirituelles il y a, la crise est profonde. Du fait que tu ne peux pas demander à nos autorités de ne pas faire leur travail, – par ailleurs, elle l’ont aussi fait parce que souffrances il y avait auparavant -, tu pourrais peut-être commencer chez toi, te sortir du jeu qui n’est plus un jeu, arrêter ta grève, te soumettre au pouvoir de la loi, en toute liberté, et par là au lieu de pointer justice et loi, nous renvoyer tous à la croix, sans vouloir prendre celle-ci toi-même sur toi, donc à l’Évangile et l’humilité de son disciple, de celui qui ne veut pas tout régler par le rapport de force qui est celui de la loi.

C’est fait, j’ai dit ce que je pense, je me remets à toi et à nos autorités, et j’assume les conséquences.

L’amitié et l’amour qui sont là, qui nous précèdent et qui nous sont donnés, avec toi, mais aussi avec les personnes qui composent nos autorités, ne sont pas entachés, ils ne peuvent pas l’être, parce qu’ils sont scellés par et en l’œuvre de Jésus Christ, notre Seigneur. Sur ce point, au moins, pouvons-nous être d’accord ?

Recevons donc, les uns et les autres, et avec nous notre Église et notre monde, son pardon et sa paix.

Armin

1 « 1. Qui aime l’autorité, qui en use ou abuse volontiers. 2. Qui aime à être obéi. » (Petit Robert)

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