Marc 10,13-16 (Mc 10,13-16) ; Jésus, les enfants et le Royaume de Dieu ; commentaire (notes exégétiques et homilétiques)

(avec la TOB, Traduction oecuménique de la Bible, 2012 ; André Chouraqui ; Marcos, Evangile selon Marc ; JClattès, 1992, p. 170ss ; Fritz Rienecker ; Sprachlicher Schlüssel zum Griechischen Neuen Testament ; Brunnen, Giessen 1987 ; Etienne Trocmé, L’Évangile selon saint Marc ; Labor et Fides, Genève 2000 ; Walter Bauer, Wörterbuch zum Neuen Testament ; de Gruyter, Göttingen 1988))

v. 13 « être touché » par Jésus : pour le croyant c’est une question existentielle ; le dictionnaire nous dit (Bauer) :

  • anzünden, ein Feuer anmachen (allumer … un feu)
  • anrühren, anfassen, berühren (toucher)
  • essen, kosten, geniessen (manger, goûter, déguster)
  • Berührung zum Zweck einer Segenswirkung (toucher en vue d’une bénédiction)
  • ergreifen des Gottesreiches (saisir, accueillir … le Royaume de Dieu)

C’est donc un toucher où l’aspect physique renvoie au spirituel, un toucher sacramentel comme l’imposition des mains. Il pointe le Royaume de Dieu qui, ce qui nous dit notre passage, se reçoit comme un enfant et quand on accueille un enfant. Le Royaume de Dieu se touche quand on accueille un enfant comme Jésus l’accueille (nous accueille) !

v. 14 « le coeur du passage » (Trocmé)

Jésus s’indigne, il se fâche, terme très fort, ce qui correspond à l’enjeu :

« Nur an dieser Stelle hören wir vom Unwillen Jesu (sonst der Jünger ; 10,41) » (J. Gnilka, Das Eavngelium nach Markus)

« il est pour leurs pareils, le royaume de Dieu », « aux pareils en effet le royaume de Dieu »

« so beschaffen, solcher », qui sont ainsi.

« Damit sind alle Empfänger der göttlichen Gnade in dasselbe Verhältnis zu ihr gebracht, in dem die Kinder zu ihr stehen. » (Adolf Schlatter selon Rienecker), une proposition intéressante que je traduis : « Ainsi tous ceux qui reçoivent la grâce divine sont mis au même plan que les enfants, dans la même relation à cette grâce. »

Il ne s’agit donc pas de devenir comme les enfants, mais de se rendre compte que, devant Dieu, l’adulte n’est pas dans une meilleure posture : tous « amentes »1. Conséquence logique est l’invitation à accueillir ce Royaume, identique à la plénitude de la vie (? v. 17), comme un enfant l’accueillerait : « comme ça », comme une évidence, même sans se poser la question « mais qu’est-ce que c’est ? ». Accueillir et accepter la vie telle qu’elle apparaît en plénitude, comme plénitude, parce que c’est la vie2, telle qu’elle est, « pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui » (Jean 9,3) ; non pas comme fatalité, en acceptant tout, mais comme réceptacle de la grâce qui nous est offerte au nom et par Dieu.

« Prendre sur soi ce que l’expression hébraïque traditionnelle appelle le joug du royaume des ciels’. L’homme qui reçoit ‘le joug du royaume des ciels’ est celui qui prie sous la motion du souffle sacré, en présence d’Adonaï. » (Chouraqui)

v. 15

« Logion indépendant qui parle du Royaume de Dieu dans les mêmes termes que la sommaire … en 1,15 » (Trocmé)

« Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’Evangile. » … En tout enfant le Règne ou Royaume de Dieu s’approche ! Mais n’oublions pas que nous étions tous enfants et nous sommes, pour le croyant, tous « enfants de Dieu ».

Ce verset comporte une ambiguïté que je considère comme voulue, mais que les commentateurs évacuent en général en optant pour l’une des deux possibilités, celle qui dit qu’il faudrait accueillir le Royaume de Dieu comme les enfants l’accueillent :

« Comme un enfant peut être une apposition soit au sujet (celui qui) soit au complément direct (le Royaume de Dieu). Ou bien faut être comme un enfant pour accueillir le Royaume, ou bien il faut accueillir le Royaume comme une accueille un enfant. Le v. 14 (à ceux qui sommes comme eux) montre que Mc avait en vue le premier sens : il faut être comme un enfant. » (TOB, p. 2193)

Les enfants, comment sont-ils ? Qu’est-ce qui fait qu’ils sont pour Jésus modèle de foi (attitude, fides qua) ?

Les commentateurs évoquent :

  • la dépendance
  • l’innocence
  • la naïveté
  • l’obéissance
  • la disponibilité
  • l’humilité
  • la confiance totale

Le petit enfant (Trocmé : « ceux qui ne comprennent rien aux savantes discussions des adultes et dont la présence risque de distraire ceux-ci »3), est-il toujours innocent, naïf, obéissant, disponible, humble (… et sa toute-puissance?) et confiant ? Connaissant les enfants je vois en ces considérations une projection d’adulte qui aimerait que l’enfant soit ainsi.

Ce n’est que la dépendance qui, à mon avis, nous mène sur la bonne piste. L’enfant, dans le meilleur comme dans le pire, est livré à l’adulte, même là où il résiste. Est-ce bon, en tant que tel ? Je pense que non, et ce n’est que le détour par l’adulte que nous pouvons revenir à ce qui le caractérise comme modèle de foi aux yeux de Jésus. Si nous regardons les grandes figures qui, selon la bible, ont eu « accès au Royaume de Dieu », ont donc été justifiés par et devant Dieu, les Abraham, Moïse, David, Job et autres Pierre, nous voyons que « résistance et soumission » Bonhoeffer) se tiennent en un équilibre, un équilibre qui est propre aux enfants :

la résistance a une limite là où le mystère de Dieu dans sa « toute-puissance » s’impose,

là où, pour l’enfant, le parent, et tout particulièrement le père, s’impose sans raisonnement, par sa seule autorité de parent ou de père. Celle-ci, fondamentalement, n’est pas contestée. La règle, la loi, est de l’ordre de la raison, la sagesse n’a pas besoin de se justifier. Il y a donc transcendance et absolu, réalités qui, en dernière instance, caractérisent Dieu, combinés, c’est aussi fondamental, avec l’amour qui, même incompris, est vécu comme inconditionnel (d’une manière schématique incarné par la mère). Dieu Mère, – l’Amour inconditionnel -, Dieu Père, – le mystère de la sagesse transcendant la Loi -, reconnus comme tels, Évangile, unifiés en une seule instance, Dieu, c’est ce qui caractérise la foi de l’enfant et par là l’accès au Royaume.

Confiance et crainte de Dieu, dans l’existence incarnées par et dans la croix et la résurrection, – voir le contexte de notre passage, les annonces de la Passion -, et recevoir l’ensemble comme donné, don et pardon, donc grâce, est ce qui nous fait entrer dans le Royaume de Dieu. L’enjeu se vit face à la réalité qui nous invite à faire une distinction entre ce qui peut être changé et ce qui ne peut pas être changé, et comment nous recevons et assumons ce qui est de la seconde catégorie. Et tout cela en « communauté », en lien avec les autres et celui qui est le garant de lien, ou lui-même lien, Esprit, et qui nous touche en tant que tel (cf. v. 13).

Et la perspective ou la visée est la bonté :

v. 16 La bénédiction, le geste empathique par excellence : prendre dans ses bras (« in oder auf den Arm nehmen ») et bénir.

Ainsi, Jésus « exprime bien le souffle de tendresse que son enseignement entend introduire dans les âpretés, trop souvent sanglantes, du monde. » (Chouraqui)

Devant cette réalité de la démence (et de « l’amence ») ce geste s’impose.

Le culte, et finalement la vie, est donc, ou devrait l’être, rassemblement pour accueillir le Royaume de Dieu,

c’est-à-dire accueillir ce qui advient tel qu’il advient,

incarné par excellence par l’enfant, – le nouveau-né de Noël -,

sans préjugé ni projection,

l’événement du moment,

accueillir le Royaume comme un enfant,

à bras ouvert, tel qu’il est, et non pas comme on aimerait qu’il soit.

Mais cela ne veut pas dire tout accepter, au contraire, intervenir, avec confiance et crainte, pour le bien de l’enfant, éduquer celui-ci, changer ce qui peut et doit être changé et accepter ce qui ne le peut.

Comme l’enfant, le Royaume de Dieu est une réalité vivante et dynamique.

Tout culte est, ou devrait l’être, un culte d’accueil mutuel

et tout accueil est une culte de Dieu,

une récolte de ce qui est donné, comme don de Dieu.

Il faut « faire avec », et là où la réalité résiste il faut la prendre comme un don, pour partir de là, même si c’est un conflit, en se posant la question :

Qu’est-ce que je fais avec ça ?

L’autre, en tant qu’enfant de Dieu, est toujours un don,

soit-il autre, et dans ce cas-là s’impose le premier commandement d’amour,

soit-il proche, donc soumis au deuxième commandement d’amour.

L’autre est toujours une bénédiction,

lieu d’accueil du Royaume de Dieu,

lieu où règne Dieu, – avec amour et sagesse -,

et non pas moi et mes idées sur l’autre.

Et si c’est un ennemi ?

« Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Et moi, je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes. » (Matthieu 5,43-45 TOB)

Armin Kressmann, 2015

1 Argument contre le refus de baptiser les enfants et de leur donner « l’eucharistie ». Non pas la phrase « laissez les enfants venir à moi », mais ce constat de « non-différenciation » devant Dieu entre eux et l’adulte. Devant l’infini tout fini n’est rien, quel qu’il soit, plus grand ou plus petit. Devant Dieu nous sommes tous « amentes », « ohne Verstand », « nul n’est bon que Dieu seul » (v. 18)

2 Et la vie est toujours plénitude, sinon c’est la mort, plénitude même là, et surtout là, où elle est menacée, donc une réalité qui est toujours digne et précieuse, ainsi « inaliénable » (Grundgesetz allemand) comme la dignité (humaine) l’est. N’est-ce pas une autre formulation de l’Impératif catégorique ?

3Ce qui nous pose comme question la présence des enfants au culte !

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