Dis-moi quel est ton Dieu, mais n’attends pas de moi que j’y adhère

Je résiste contre cette généralisation qui dit « Nous avons tous le même Dieu », parce que c’est une affirmation qui pense Dieu à partir de Dieu, perspective impossible pour l’humain.

En réalité, dans notre vie, notre dieu, même et surtout pour ceux et celles qui se déclarent « chrétiens », n’est pas toujours Dieu, mais l’argent, la santé, la beauté, le corps, la sexualité, la famille, le sport, le travail, la nation, l’Église, la nature, l’intelligence, la raison, la vérité, voire l’amour, mais pas celui qui est Amour, etc. etc.

Alors une « parole qui tranche », pour moi, est une parole qui met les choses à la bonne place, non pas dans l’absolu, mais dans la relation des uns avec les autres. C’est une parole qui se positionne elle-même, dans le dialogue d’un face-à-face avec une parole qui fait de même, chacune ouverte à l’autre, sans se renier soi-même, mais consciente de la possibilité d’avoir tort devant une instance qui dépasse et l’une et l’autre, donc aussi consciente que la parole de l’autre puisse être plus proche de cette instance qu’on peut appeler vérité.

Une « parole juste », – elle ne l’est jamais dans l’absolu, parce que dans l’absolu la parole entièrement juste est une personne, donc une parole totalement incarnée transcendant le verbal, une personne devenue Verbe -, est une parole qui se situe devant le double commandement d’amour.

Qu’est-ce que cela veut dire ?

Une « parole juste » est une parole qui aime, ou qui respecte, la parole d’un même, du prochain, comme la sienne, ni plus, ni moins, consciente que cet amour est bien relatif, parce qu’aimer soi-même est peu de chose : qui s’aime vraiment ? Nous sommes peut-être égoïstes, mais la personne narcissique, au-delà d’une simple confiance en soi, ne s’aime pas vraiment, ne s’accepte pas aussi dans ses déficiences et ses défauts. L’amour du prochain, pour moi, est simple confiance que ce proche est plus ou moins sincère, comme moi je le suis, et qu’il fonde sa parole, comme moi, sur le même dieu, c’est-à-dire plus ou moins sur le même référentiel que moi. L’Église, toute Église, ne peut avoir l’ambition que d’avoir cette parole-là.

C’est devant l’autre tout-autre, celui qui n’est pas un même, pas comme moi, que la « parole qui tranche » ou la « parole juste » est réellement défiée, parce qu’elle se trouve devant une parole qu’elle ne comprend plus, une parole qui a un autre référentiel et qui rejoint la mienne en un lieu, – la Parole de Dieu, à ne pas confondre avec la bible ou le Coran, et encore moins avec la parole d’une Église -, qu’elle ne peut atteindre par elle-même. Celle-là, cette parole autre, me renvoyant à une parole toute-autre ou Parole de l’Autre, ma parole, elle fera tout pour s’y confronter avec respect et intérêt ; elle cherchera le dialogue avec toute sa force, toute sa pensée, toute son âme, tout son être. Et si compréhension il y avait, celle-ci serait de l’ordre du don et de la grâce, en un lieu que ni moi, ni mon interlocuteur pourrions atteindre par nos propres forces, sauf, évidence, si mon interlocuteur était lui-même Dieu, ce que je ne pourrai jamais savoir, parce cette Parole-là, la sienne, est hors savoir.

Ainsi, il y a toujours un reste, une part de silence, qui nous échappe, aux uns et aux autres, à toute religion, à toute théologie et toute philosophie, quoi que nous fassions pour le combler, et l’essentiel réside dans ce reste. Il nous rend humbles, il donne la place à l’autre, et une à moi-même dans mon altérité, il nous pousse à aller de l’avant, à chercher ensemble, il nous protège de tout totalitarisme et nous fait à ne pas confondre notre religion ou notre vision du monde avec la Vérité. C’est donc logique que le premier commandement d’amour, celui que je viens d’aborder comme deuxième, soit le grand.

Et voilà la conséquence qui nous ramène dans le débat sur les licenciements en Église : la résistance est la restance du reste. Je ne sais pas si c’est du Derrida, mais c’est ce que j’ai compris de Derrida. La résistance, sous condition de respecter ce que je viens de développer, est ce qui caractérise le reste, le fait de ne jamais pu être ramené au même. Il reste soi-même, « ipse » dirait Ricoeur, si j’ai bien compris Ricoeur.

Armin Kressmann 2015

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