Distance, résistance, abîme – Reste, différence, altérité

Et pourtant, non !
je n’étais pas un homme comme vous.
Vous n’êtes pas nés sur les routes,
personne n’a jeté à l’égout vos petits
comme des chats encor sans yeux,
vous n’avez pas erré de cité en cité
traqués par les polices,
vous n’avez pas connu les désastres à l’aube,
les wagons de bestiaux
et le sanglot amer de l’humiliation,
accusés d’un délit que vous n’avez pas fait,
d’un meurtre dont il manque encore le cadavre,
changeant de nom et de visage,
pour ne pas emporter un nom qu’on a hué
un visage qui avait servi à tout le monde
de crachoir !

Un jour viendra, sans doute, quand le poème lu
se trouvera devant vos yeux. Il ne demande
rien! Oubliez-le, oubliez-le ! Ce n’est
qu’un cri, qu’on ne peut pas mettre dans un poème
parfait, avais-je donc le temps de le finir ?
Mais quand vous foulerez ce bouquet d’orties
qui avait été moi, dans un autre siècle,
en une histoire qui vous sera périmée,
souvenez-vous seulement que j’étais innocent
et que, tout comme vous, mortels de ce jour-là,
j’avais eu, moi aussi, un visage marqué
par la colère, par la pitié et la joie,

un visage d’homme, tout simplement !

(Benjamin Fondane, L’Exode, 1942)

Propositions éthiques :

  • Penser la résistance comme « restance » du reste.
  • Penser la distance comme « différance » de la différence.
  • Penser l’abîme comme « différance » de l’altérité.

Ceci n’est pas du Derrida.

« La logique de la «différence», selon Baudrillard, fonctionne sur le principe binaire de l’exclusion et de l’inclusion : l’autre est destiné soit à disparaître en tant qu’ennemi, soit à être absorbé pour devenir le «Même». » (Chantal de Goumay)

« Finie l’altérité brute, l’altérité dure, celle de la race, de la folie, de la misère, de la mort.

… Là où était l’Autre, est advenu le Même.

Tout se parle aujourd’hui en termes de différence. Mais l’altérité n’est pas la différence. On peut même penser que c’est la différence qui tue l’altérité.

Le racisme n’existe pas tant que l’autre est Autre, tant que l’Étranger reste étranger. Il commence d’exister lorsque l’autre devient différent, c’est-à-dire dangereusement proche. C’est là que s’éveille la velléité de le tenir à distance.

L’Autre est ce qui me permet de ne pas me répéter à l’infini. » (Jean Baudrillard ; La Transparence du Mal, Essai sur les phénomènes extrêmes)

Armin Kressmann 2014

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