Une théologie qui n’est pas clown n’est plus théologie

Le clown, figure de l’autre en soi-même

Vie&Liturgie, no. 99, mai 2014, p.6ss

Le clown en Église est un mystique qui ébranle toute certitude, sur lui, autrui, le monde et Dieu. Il est « athéologique ». L’Église ne l’aime pas ; elle ne peut pas l’aimer. Devant le clown, Dieu lui-même n’a que d’autre choix que de se faire clown, en Jésus Christ.

Écrire sur le clown est hors clown, comme écrire sur la prière est hors prière … comme pourrait être hors foi écrire sur la foi, théologie hors foi, signe de l’impossibilité de faire de la théologie. La théologie, comme l’éthique chrétienne, est un art qui joue avec les règles qu’elle établit et auxquelles elle se soumet, tout en disant, à l’intérieur de ces règles (« Regelwerk »), qu’elle ne s’y soumet pas, ne peut pas s’y soumettre, parce que se soumettre elle ne peut qu’à Dieu, ou à sa volonté, sa loi, qui, elle, n’a que de sens quand on la respecte sans s’y soumettre. Au fond, c’est du clown. Théologie est impossible ; théologie possible n’est plus théologie. Quand on n’a plus d’autres possibilités, on devient théologien, ou clown, ou philosophe ; et c’est peut-être la même chose.

« La philosophie du bouffon est une philosophie qui à chaque époque dénonce comme douteux ce qui paraît inébranlable, elle attire l’attention sur les contradictions dans ce qui semble évident et incontestable ; elle tourne en dérision le sens commun jusqu’à l’absurde – en d’autres mots, elle assume le dur travail quotidien de la profession de bouffon au risque inévitable de paraître grotesque. »1.

Une théologie qui n’est pas clown n’est plus théologie, mais histoire, linguistique, sociologie, psychologie, etc. Le seul sens de la théologie réside dans sa fonction de dire l’impossibilité de faire de la théologie. Théologie qui veut dire autre chose est science ; celle-ci n’a, directement, rien à faire avec Dieu. Au mieux elle s’occupe de l’humain qui croit en Dieu. Thanatologie est toujours zoologie ; elle dit la vie, pas la mort. Mais la science de la vie, « zoologie », ne peut pas dire ce qu’est la vie ; au mieux, elle peut la décrire et la manipuler. L’amour échappe à la science ; il échappe à toute loi, sauf au commandement de l’amour, qui, lui, n’est plus loi, mais promesse. « C’est ainsi que tu aimeras … »2. Promesse qui se réalise quand est joué le jeu, cependant non pas parce qu’il est joué selon ses règles, mais parce qu’il est joué. Et pourtant, il a besoin de règles, sinon on ne saurait pas à quoi jouer ; les règles définissent le jeu sans dire son essence ; paradoxe.

« Sous l’angle de la forme, on peut … définir le jeu comme action libre, sentie comme ‘fictive’ et située en dehors de la vie courante, capable néanmoins d’absorber totalement le joueur ; une action dénuée de tout intérêt matériel et de toute utilité ; qui s’accomplit en un temps et dans un espace expressément circonscrits, se déroule avec ordre selon des règles données, et suscite dans la vie des relations de groupes s’entourant volontiers de mystère et accentuant par le déguisement leur étrangeté vis-à-vis du monde habituel. … Le jeu est une lutte pour quelque chose, ou une représentation de quelque chose. … L’action sacrée est un dromenon, c’est-à-dire quelque chose qui se fait. Ce qui est représenté est un drama … Sa fonction n’est pas une pure imitation, mais une communion ou une participation. Il est un facteur helping the action out. » 3.

Armin Kressmann 2014

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1 L. Kolakowski ; in : H. Cox ; « La fête des fous » ; Seuil, Paris 1971, p. 159

2 Lévitique 19,18 ; Marc 12,30.31

3 Johan Huizinga ; « Homo ludens » ; Gallimard 1951, p. 31ss

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