Institutions socio-éducatives – Comment établir ou réviser une charte ?

Invité par la Fondation Eben-Hézer à faire partie d’un groupe de travail en vue d’une révision ou refonte de la charte établie en 1995, je me suis penché sur celle-ci en la comparant avec celle de l’Institution de Lavigny et celle de l’Espérance à Etoy (cf. Les institutions socio-éducatives et leurs chartes : entre libéralisme, communautarisme et procéduralisme). Voici les points qui me frappent actuellement, enjeux auxquels sont à mon avis confrontés tous les établissements socio-éducatifs, et tout particulièrement ceux qui accueillent des personnes (mentalement) handicapées :

  • La dimension transcendantale (spirituelle, évangélique, chrétienne, anthroposophique ou autre) : est-ce qu’il y a une volonté de s’inscrire dans une histoire commune dont le sens est lié à une finalité qui dépasse le simple bien-être des uns et des autres ? Comment assumer les échecs ? Que faire avec les limites qui s’imposent parfois violemment dans ces institutions (« situations extrêmes »), limites que conteste, fondamentalement, la « science » ? Humilité, impuissances, « on ne peut pas tout maîtriser … »? Reconnaissance d’une transcendance (« il y a des choses qui nous échappent … ») ? Défense d’un patrimoine et d’une histoire ? Art (du métier) et raison, ou seulement raison (« evidence based ») ? Y a-t-il un tiers commun autre que la seule raison ? Et qu’est-ce que cela veut dire quand la raison de ceux et celles qu’on accueille ne correspond pas à la raison qui semble être la nôtre ? Quelle est la raison de la déraison ?

 L’évocation des origines et de la vocation « chrétiennes » ? Quand on met la personne au centre, son unicité et sa globalité, l’ultime ne peut être qu’une personne … Quel serait son nom ?

 D’une manière générale, le spirituel est à ramener au sens (et implicitement à la transcendance), et non pas aux valeurs (l’éthique), ni à la seule religion. Il signifie l’ouverture et l’orientation, retrace et assume ainsi une histoire de vie. Comme la religion (au-delà des rites et des dogmes), la fête, l’art ou le sport et encore d’autres choses ont leur place.

 L’autonomie évoque une vision libérale où le sujet se laisse guider par les normes qu’il s’impose lui-même. Prise telle quelle, ni les résidents ni les institutions sont actuellement en mesure d’y répondre (pleinement). D’en faire le seul principe d’orientation aurait comme conséquence une refonte profonde de l’institution1. Dans l’univers du handicap mental particulièrement, – marqué par excellence par un handicap d’autonomie (n’oublions pas que les résidents dont il s’agit sont pour une bonne part sous curatelle et, par la société, pas reconnus comme citoyens à part entière) -, elle doit être rééquilibrée par ce que la bioéthique appelle la bienfaisance, principe paternaliste ou communautarien2, ce que les termes « modèle familial ou maison » figurant dans la charte d’Eben-Hézer de 1995 pourraient aussi vouloir exprimer, au-delà de ce qui est aujourd’hui souvent considéré comme un modèle éducatif dépassé. Modèle libéral ou modèle communautarien ; une complémentarité entre les deux, comment, où, quel modèle en quelle situation ? Quels critères pour trancher ? La dignité de la personne humaine, son bien-être, sa liberté, sa sécurité, et l’ensemble, etc. ? « Autonomie », pourquoi ce terme passe-t-il toujours, sans qu’on le mette vraiment ni en question ni en pratique ? Moi-même, je choisis mon partenaire, mon lieu de vie et de travail, ce que je mange, mon médecin et les personnes qui s’occupent de moi, et je sais à peu près, et encore, ce que c’est l’impératif catégorique, le double commandement de l’amour, la règle d’or ou la dignité humaine, toutes des choses problématiques quand il s’agit de personnes « hébergées », et tout particulièrement quand il y a déficience intellectuelle. Je pense qu’il vaudrait aujourd’hui mieux d’insister sur l’approche par « capabilité » :

 « The central question asked by the capabilities approach is not ‘How satsified is Vasanti ?’ … It is, instead, ‘What is Vasanti actually able to do and to be ?’. »3

L’enjeu étant posé, l’institution veut-elle être simple fournisseur de prestations, avec les risques qu’on connaît4, la relation avec les résidents étant seulement contractuelle, ou y a-t-il encore autre chose ? Une vie de groupe, une vie de « maison », une vie de l’ensemble et un projet commun ? Et si c’est le cas, comment le dire ? Veut-on être communauté et qu’est-ce qui est ou serait commun à tous ? Plus techniquement et procédural, les notions « interdisciplinarité » et « transdisciplinarité » pourraient être envisagés, sans qu’ils disent tout à fait la même chose5.

  • La place des familles : les familles étant à cheval entre l’interne et l’externe, l’institutionnel (prolongement de l’autorité parentale ou représentation légale autre) et le communautaire (l’histoire de la famille), le passé et le présent (voire l’avenir), la relation avec elles et leur participation à la vie institutionnelle et aux processus de décision symbolisent le modèle de prise en charge et de « management » adopté par l’institution6. 
  • En résumé, pour être à la hauteur de ses ambitions, toute charte devrait indiquer une finalité que, personnellement, je pointerais par la « dignité inaliénable de la personne humaine », envisageable justement sous les deux angles, les droits (« Droits de l’Homme » ; valorisant l’a priori kantien ; les capabilités de Martha Nussbaum) et la transcendance (judéo-chrétienne ; valorisant le don).

Armin Kressmann 2013

1 Le résident serait client, à prendre et considérer comme tel (à lui seul et à ses représentante de décider ce qui lui semble bon pour lui), et l’établissement serait simple prestataire qui aurait la tâche de répondre, par une sorte de marché, aux demandes du résident (principe offre et demande).

2 Quand j’utilise ces termes je le fais au niveau philosophique et sans aucun jugement de valeur.

3 Martha Nussbaum ; Women and Human developpement ; Cambridge University Press, 2000, p. 71

5 Inter- et transdisciplinarité se rattachent à une éthique procédurale : ce ne sont ni des principes (déontologiques), ni les finalités (utilitaristes) qui définissent l’action, mais la structure et l’organisation des interactions (hiérarchiques, démocratiques, matricielles, verticales ou horizontales, répartition des champs de compétences, collaborations, procédures et processus, etc.).

6 Sociologiquement ce que nous appelons habituellement institutions ne sont pas des institutions, mais des organisations qui fonctionnent selon les principes et les règles de l’institution qu’est le socio-éducatif.

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