Établissement, institution et spiritualité

Sociologiquement un établissement socio-éducatif, scolaire ou hospitalier n’est pas une institution, mais une organisation qui fonctionne selon les règles de l’institution qu’est l’hospitalier, le scolaire, le socio-éducatif, l’Etat, l’économie ou l’argent.

Une institution est

« l’ensemble des normes qui s’appliquent dans un système social et qui définissent dans ce système ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas. »1

Institution, à travers les normes qu’elle impose, donne de la stabilité. Au niveau des mots et des concepts qui se cachent derrière les mots, institution et stabilité sont de la même famille, comme table, étable, station, statut, exister, constituer ou assister. Ce qui est institution est posé, établi, donne de la sécurité et une durée dans le temps. C’est la force de l’institution ; elle protège, elle sécurise, elle définit, met des limites et cadre ainsi. Sans institution il n’y a pas de possibilité de vivre ensemble, sans institution il n’y a pas de communication, il n’y a rien de commun si ce n’est la nature dont on n’a pas conscience sans cette institution première qu’est le langage.

En conséquence, devant la menace du chaos que comportent la maladie, le dysfonctionnement social ou le handicap, les lieux tels que l’Institution de Lavigny (où je suis aumônier) donnent une nouvelle stabilité. Ils réconfortent, remettent de l’ordre, permettent vie et survie quand la vie, une vie, est déstabilisée.

Cependant, qui dit stabilité dit aussi danger de figement, car le sens de l’institution n’est pas dans l’institution. Une institution qui ne sait plus à quoi elle sert, qui n’est plus consciente de la mission qui transcende les règles, les normes et les procédures de l’institution, qui a perdu une finalité au-delà du bon fonctionnement de l’institution, devient totale, voire totalitaire (Erving Goffman). Elle règle tout, toute la vie de ceux et celles qui sont soumis à ses règles, sans savoir ni pourquoi, ni pour quoi, donc sans savoir d’où elle vient ni vers quoi elle tend, ses origines et sa destinée : elle a perdu son sens, ou son orientation, elle se vide et tourne sur elle-même.

Ainsi s’affrontent, idéalement comme complément et non pas opposition, institution et spiritualité. Le contraire d’institution, ou d’établissement, n’est pas la communauté, mais la spiritualité : institution, ou ici organisation, quel est l’esprit qui t’habite ? Que veux-tu réaliser ? Qu’est-ce qui t’est commun au-delà des normes, des règles et des procédures ? Si tu le sais, ce qui pourrait être lettre morte, l’institutionnel, s’animera, sera rempli de vie et fera du sens, et toi, institution dans le sens noble de ce terme, deviendras communauté, institution animée, vivante et sensée. C’est la spiritualité qui indique le sens, et non pas l’éthique, parce que celle-ci, de nouveau, est de l’ordre de l’institution, des règles et des normes. Ce qui est finalement visé est la dignité, celle de la personne, de toute personne impliquée dans l’organisation, et celle de l’établissement lui-même, la beauté du vivre et du travailler ensemble, la noblesse des règles, des normes et des procédures.

Quand je dis spiritualité, je ne dis pas tout de suite religion. La religion est encore autre chose, se concrétise quand on institutionnalise le spirituel, le met en forme, en règles, normes et procédures. Non, ce que je vise d’abord comme collègue parmi collègues et humain parmi humains, au sein de cette organisation qui s’appelle l’Institution de Lavigny, n’est pas une réponse, mais une question : quel est le sens de ce que nous faisons, sa finalité, le souci ultime ? Dans la quête commune, j’en suis convaincu, réside la réponse, au-delà de l’institution.

 Armin Kressmann 2013

1 Mendras, H., dans Petit, F. ; Introduction à la psychosociologie des organisations ; Privat, Toulouse 1988

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