Jean 9,1-3 ; notes exégétiques et homilétiques : Le handicap, la faute à qui ? « C’est pour que les oeuvres de Dieu se manifestent en lui », en qui, par qui ?

(avec la Traduction oecuménique de la bible, TOB 1988 ; Kathy Black, Evangile et handicap, Une prédication pour restaurer la vie, Labor et Fides, Genève 1999 ; Walter Bauer, Wörterbuch zum Neuen Testament, de Gruyter, Berlin 1988)

« En passant, Jésus vit un homme aveugle de naissance. Ses disciples lui posèrent cette question : ‘Rabbi, qui a péché pour qu’il soit né aveugle, lui ou ses parents ?’ Jésus répondit :’ Ni lui ni ses parents. Mais c’est pour que les oeuvres de Dieu se manifestent en lui ! »

La TOB commente : « Jésus écarte les théories courantes sans se soucier d’en proposer une nouvelle. Il constate le fait de l’infirmité et agit en vue d’assurer à cet homme sa pleine intégrité physique ; il accomplit par là un signe qui manifestera aux hommes son origine divine et les invitera à recevoir la véritable lumière. Le passage de l’aveuglement à la vue symbolise celui de l’incrédulité et de la mort à la foi et à la vie. Dans ce sens, l’aveugle (qui est le seule aveugle de naissance du N.T.) pourra être considéré comme le prototype de ceux qui accèdent à la foi. »

Nous devons tout de suite relever que l’aveugle ne demande rien ; il est d’une passivité étonnante. Ce n’est qu’après « miracle », – imposé, offert ? -, où il se manifeste :

 « L’homme qu’on appelle Jésus a fait de la boue, m’en a frotté les yeux et m’a dit :’Va à Siloé et lave-toi’. Alors moi, j’y suis allé, je me suis lavé et j’ai retrouvé la vue. » » (v. 11)

Si conversion il y a, « accès à la foi », elle n’est pas condition de guérison; l’homme ne fait pas le moindre pas. La foi est grâce1 ; sauf si on considère le passage de l’homme, – déjà guéri ou pas encore ? -, à Siloé, – « ce qui signifie Envoyé » (v. 7) -, comme « oeuvre » en vue de guérison. Devenu « envoyé », l’homme guérit.

Kathy Black dit : « Une autre question qui surgit est le fait que ce texte contredit la théologie qui voudrait faire de la foi une condition préalable à la guérison. Mais dans notre cas, on voit bien que l’homme n’était pas encore croyant au moment de sa guérison. Sa foi s’est développée à partir du moment où il a dû rendre compte de son expérience à ses adversaires. Oserions-nous nous mettre à apporter la guérison à ceux qui ne font montre d’aucune foi ? Comment évoluerait l’Église si nous cessions d’exiger des confessions de foi avant de nous engager activement pour le salut de notre monde ? » (p. 68)

Je vais encore plus loin : l’homme a-t-il besoin de guérison physique pour confesser sa foi ? Le miracle, n’est-il pas l’accès à la foi, devenir « envoyé », d’autant plus qu’il est aveugle de naissance. Sans nier sa souffrance, il a été « créé aveugle » ; son identité première est « être aveugle », comme « être trisomique », ou « femme » ou « homme » ou « autiste ». Que voulez-vous changer au niveau de l’être ? Ce qui fait souffrir, ce sont les relations faussées provoquées par le regard faussé sur une personne telle qu’elle est. C’est le regard qui est le péché ! Le regard sur la personne handicapée, – « les gens du voisinage et ceux qui … avaient l’habitude de le voir – car c’était un mendiant » (v. 6). « Qui a péché, lui ou ses parents ? » Devrions-vous vraiment croire que ce Jésus de Nazareth, fils de Dieu, que nous confessons pleinement humain ait changé l’ordre de la création, en faisant du supranaturalisme ?

Ajoutons à cette interrogation le simple fait que ce texte biblique ne s’adresse en premier lieu non pas aux « aveugles physiques », mais à nous tous dans notre aveuglement de ne pas voir en toute personne handicapée une personne « intègre » tout au fond d’elle-même.

Se pose donc la question des « œuvres de Dieu qui se manifestent en lui ». Trop vite nous en faisons une affaire privée entre Dieu et cet homme particulier. « En lui », l’allemand en fait déjà une nuance en disant « an ihm », « chez lui ». Quand on regarde le champ de ce petit mot « en » en grec, on constate qu’il est infiniment large :

« Der Gebrauch dieser Präposition ist so vielseitig, aber auch oft so verschwommen, dass eine genaue Systematik unmöglich ist. » (W. Bauer, p. 522)

Je donne ici les catégories principales selon W. Bauer, en allemand :

I. örtlich

1. eigentlich

a. in vom Raum innerhalb dessen sich etwas befindet

b. auf

c. die Nähe bezeichnend, an, bei

e. übertragen auf Nichtsinnliches

2. zur Bezeichnung des Objekts, an dem etwas geschieht, sich etwas zeigt oder aus dem etwas erkannt wird

3. zur Bezeichnung der Anwesenhait einer Person, vor, bei, in Gegenwart von

4. zur Bezeichnung einer näheren Beziehung

a. unter, in

c. zur Einführung der Person, die jemanden begleitet, oder der Sachen, die jemand mitbringt, mit denen jemand ausgerüstet, behaftet ist, mit

d. zur Bezeichnung eines Zustandes

5. zur Bezeichnung einer engen Verbindung

a. übertragen auf Personen, um ein Erfüllt-, Ergriffensein durch etwas zu bezeichnen, « in seinem Innern »

b. besonders zur Bezeichnung bestimmter seelischer Vorgänge, wobei die Innerlichkeit des Prozesses hervorgehoben werden soll

c. vom Ganzen mit dem die Teile eng zusammenhängen

d. zur Bezeichnung eines engen persönlichen Verhaltnisses

II. zeitlich

III. Kausal

1. das Mittel oder Werkzeug einführend

b. bei Personen mit Hilfe von

2. zur Bezeichnung der Art und Weise, besonders zur Umschreibung

3. von Grund und Ursache, auf Grund von ihm, wegen

Cet ensemble devrait nous rendre prudents et nous amener à élargir et compléter la compréhension de cet « en autô », « en lui »,

« en profondeur de lui, dans son intimité, dans son être, chez lui, auprès de lui, avec lui, en compagnie de lui, avec son aide, en sa présence, par rapport à lui, à cause de lui, etc. etc. »

Le miracle, encore une fois, n’est finalement moins sa conversion spirituelle et sa guérison physique que son courage d’affronter autrui, – ses ad-versaires -, comme il est avec ce qu’il est. Ce n’est même pas une intégration, au contraire :

« Un (autre) point est que la guérison a aggravé l’isolement de cet homme plutôt que de lui redonner un sentiment d’appartenance. » (K. Black, p.68)

Le miracle, l’œuvre de Dieu et en tant qu’œuvre de Dieu, est le courage d’affronter l’adversité de la vie et des autres, et de manifester ainsi : « Je suis œuvre de Dieu. », voulu et aimé par Dieu, envoyé par lui, en ce que je suis2.

L’homme n’est pas malade, il est « seulement » aveugle, et voit maintenant ce que ses interlocuteurs, les disciples inclus, ne voient pas. Et il ose dire ce qu’il voit et ce qu’il a vu.

Armin Kressmann 2013

1 Alors que dire de ceux et celles « qui ne l’ont pas » ? Qu’aurait-il à leur « reprocher » ?

2 Mais pas forcément en ce que je fais.

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