Luc 5,1-11 ; notes exégétiques et homilétiques : Le regard qui appelle, le regard qui guérit

(avec la Traduction œcuménique de la Bible (TOB) ; André Chouraqui ; Loucas, Evangile selon Luc ; JClattès, 1993 ; François Bovon ; L’évangile selon saint Luc ; Commentaire du Nouveau Testament IIIa, Labor et Fides, Genève 1991)

La vocation des premiers disciples[1]

Comment prendre le large, traverser l’eau sans couler, sans s’enfoncer ?

  • En prenant la barque
  • En suivant le Christ, sur sa parole

Le filet, dans le premier testament (AT), évoque le châtiment. Ici, la prédication de l’Évangile rassemble les humains en vue du jugement dernier et de l’entrée dans le royaume de Dieu : Matthieu 13,47-52

Si le filet était notre conscience ? La morale ou la loi, comme expressions d’une conscience collective ?

Au bord du lac, au bord de la menace du chaos (« la mer », chez Marc et Matthieu), en Jésus Christ, Dieu nous adresse sa parole, la « Parole de Dieu » :

Chez Luc langage de mission. C’est Dieu qui parle à travers Jésus, qui est porte-parole, « au nom de Dieu ».

« Jésus est pleinement le porte-parole de Dieu et reste pourtant lui-même : l’homme public et l’homme privé ne font qu’un. » (François Bovon)

… où chez nous positionnement dans le rôle et positionnement en tant que personne ne sont jamais pleinement cohérents, ce qu’illustre directement la posture de Pierre (v. 5).

« Le rayonnement et la vérité des paroles de Jésus, comme de la prédication chrétienne, ne peuvent se mesurer objectivement. Ils sont liés à la relation entre les personnes, entre le Père et le Fils, entre Dieu et ses enfants. »

Cela fait que la théologie ne peut jamais être science dans le sens stricte du terme, traitant objectivement des faits. La parole théologique, donc aussi la parole biblique, est toujours situationnelle, à recevoir à partir et à mettre et remettre dans un contexte (historique, actuel et eschatologique)[2].

« La ‘Parole de Dieu’, chez Luc, c’est le lieu où Dieu se manifeste à l’extérieur de lui-même comme le Dieu vivant et miséricordieux. » (F. Bovon)

 

Dieu vivant et vivifiant Dieu miséricordieux
La sainteté La miséricorde[3]
La dignité L’amour
L’amour de Dieu[4] L’amour du prochain
Altérité Ressemblance

Schéma qui traverse la bible et qui est la clé herméneutique centrale pour l’ensemble et toutes ses parties, ainsi, en ce qui me concerne, pour toute la dogmatique et l’éthique.

v. 1 « Or » (TOB et Bovon), « Et c’est …» (Chouraqui) indique pour celui-ci un récit particulièrement important.

« la foule »

François Bovon parle de « significations ecclésiologique » de notre passage.

« Entre la foule et sa détresse », sa faim, et l’offre décevante des pêcheurs, « nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre », « il y a ce regard de Jésus qui appelle … ce miracle qui est en même temps une promesse. »

v. 2 « Il vit »

« Tout débute par le regard de Jésus » (F. Bovon),

et c’est ainsi que commencent les appels, ou les guérisons, et les rejets, ou la discrimination et la marginalisation.

Deux barques, pourquoi deux ? Et qui sont aujourd’hui ceux et celles de l’autre barque, les « camarades » (TOB et Bovon) ou les « compagnons » (A. Chouraqui) de l’autre barque ?

v. 4 « pour attraper » Il n’est pas dit « du poisson » (TOB) ; « quelque chose » (F. Bovon)

v. 5 « sur ta parole, je vais jeter les filets » … et finalement comme « pêcheur d’hommes » (v. 10), lancer un appel, basé sur le schéma qui précède, à la conscience des concitoyens.

Pierre est le professionnel, le connaisseur (technique).

« Pierre, en tant que pêcheur, n’a rien à apprendre d’un homme de son âge, qui de plus est un terrien. » (F. Bovon)

Pierre reconnaît en Jésus le « chef » hiérarchique, supérieur, celui qui a rang et supériorité.

Ici on pourrait lancer un appel aux différents « managements » dans l’économie, le politique ou le social : si vous menez des professionnels, des gens du métier, dans des « eaux profondes », soyez au moins sûrs d’avoir une riche récolte, sinon rang et autorité (et encore moins le salaire) ne se justifient.

v. 8 « coupable » (TOB), « pécheur » (Bovon), « fautif » (Chouraqui) : de quoi ?

De ne pas avoir cru la parole du verset 4 ? D’avoir douté de Jésus ?

Je relève ici Luc 5,31.32 : il s’agit d’appel de pécheurs et non pas de justes.

Il est donc normal que dans une société comme la nôtre, où tout le monde est juste ou le pense au moins ou se présente comme tel, que l’Eglise n’ait plus d’impact.

« à cette vue, Simon Pierre tomba à genoux … »

« Comme le regard du Seigneur (v. 2) constitue l’Église, le regard des croyants (ici Pierre) suscite la confession. » (F. Bovon)

Nous avons dans notre texte une cercle herméneutique par échanges de regards :

 Jésus

Regard qui appelle                                Regard qui suit, répond, confesse …

 Pierre, Église

Pierre confesse sa condition humaine limitée et l’assume ainsi ; il  se converse vers … le royaume dont le filet (de pêche) tient son sens et sa finalité.

v. 10 Le pardon (ou la miséricorde), signifiant ce royaume, est mission.

« Ne crains pas, dès maintenant ce sont des êtres humains que tu prendras vivants. », traduit F. Bovon,

des êtres humains vivants, animés et à ranimer.

v. 11 « laissant tout » « Qu’est-ce tout ?

Voici le schéma de l’ensemble, cercle infini qui est le sens de l’Église :

Parole et actes

Parole (Loi, « avance en eau profonde », et Évangile)

Manifestation (épiphanie de la Parole)

Confession – Péché (de ne pas recevoir cette parole et en conséquence incapacité de manifester)

Pardon – Miséricorde

Mission

Parole …

« Mind map » de la prédication sur Luc 5,1-11 du 3.2.13 à la chapelle de l’Institution de Lavigny 

Armin Kressmann 2012


[1] Chez Luc.

[2] Ce qui fait que l’exégèse ne devrait pas seulement être « historico-critique », mais aussi « hodie-critique » et « eschato- ou advento-critique », travaillant pas seulement le contexte historique, mais aussi actuel et future. Ici, ma considération n’est pas d’abord herméneutique, mais exégétique :  en premier abord il ne s’agit pas seulement de prêcher en une situation, mais recevoir, comprendre et interpréter un texte dans un contexte, celui-ci aussi et surtout actuel et à venir (finalement eschatologique). L’interprétation, avant même que le texte soit « appliqué » à une actualité, est aussi à comprendre à partir de cette actualité (sinon il n’y a pas perspective de « Parole de Dieu »). Que vivrait Abraham aujourd’hui, et pas seulement « qu’a-t-il vécu à son époque » ? Ceci implique un double changement de perspective : Abraham face à son Dieu de son époque, ou nous dans la peau d’Abraham, et Abraham devant notre Dieu (qui n’est plus le même tout en étant le même ; cf. mes considérations sur « l’unité personnelle transductive » de Simone Romagnoli.

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