Wittgenstein et le handicap mental

Ils sont « différents » …

C’est une évidence …

… et, en même temps, c’est beaucoup plus qu’une évidence.

Ils sont « différents » …

Savons-nous ce que nous disons quand nous disons cela ? … Il sont « différents » !?

Je ne les comprends pas, … souvent je ne les comprends pas.
Ils agissent et réagissent autrement.
Ils me surprennent.
Ils me gênent, parfois, ils m’inquiètent, parfois,
ils me font rire … et ils me rendent triste,
ils me font peur, ils me poussent à mes limites, ils me poussent même au-delà …

Avec eux, je perds mes repères,
devant eux je suis démuni,
avec eux je perds la maîtrise,

et quand j’essaie de la reprendre, de reprendre le pouvoir, je transgresse,
je fais violence …

… je les perds, et je me perds avec eux …

Ils me transcendent …

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Pourtant, mon entourage me demande la maîtrise ;
il me demande d’être efficace,
là où ils sont inefficaces,
rapide,
là où ils sont lents,
compréhensible,
là où ils sont incompréhensibles,
clair,
là où ils sont insaisissables …

… mon entourage me demande la maîtrise de l’immaîtrisable …
le contrôle de l’incontrôlable,
et il veut contrôler si je contrôle l’incontrôlable,
il contrôle le contrôle de l’incontrôlable …

Mon entourage, notre entourage, ramène l’autre au même,
il le ramène à lui.

Et nous sommes tentés de jouer son jeu,
nous sommes tentés de lui montrer ce qu’il veut voir,
ce qui lui plaît :

oui, regarde, on maîtrise,
oui, nous sommes des professionnels,
oui, nous faisons ce qui est bon, nous faisons ce qui est juste …

Regarde !

Mais qu’est-ce qui est bon,
qu’est-ce qui est juste,
quand on est avec ceux qui sont différents ?

Différents, d’une autre réalité,
au-delà de notre bonté, au-delà de notre justice,
d’une autre bonté, d’une autre justice ?

« L’éthique est transcendantale », dit Ludwig Wittgenstein …

… et s’il avait raison ?

« Il est évident, dit-il, il est évident que l’éthique ne se laisse pas énoncer.
L’éthique est transcendantale … »

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« Qu’est-ce que je sais sur Dieu et sur la finalité de la vie ?
Je sais que le monde est.
Que je suis en lui comme mon oeil est dans son visage.
Qu’il y a quelque chose de problématique en lui, ce que nous appelons son sens.
Que ce sens n’est pas en lui, mais en dehors de lui.
Que la vie est le monde.
Que ma volonté pénètre le monde.
Que ma volonté est bonne ou mauvaise.
Que donc ce qui est bon et ce qui est mal ont quelque part un lien avec le sens du monde.
Le sens de la vie, c’est-à-dire le sens du monde, nous pouvons l’appeler Dieu.
Et nous pouvons y accrocher la parabole de Dieu comme Père.
La prière est la pensée au sens de la vie.
Je ne peux pas guider les événements du monde selon ma volonté, je suis totalement impuissant.
C’est ainsi seulement que je peux me rendre indépendant du monde
– et alors quand même le maîtriser en un certain sens –
par le fait de renoncer à vouloir influencer les événements. »

(Ludwig Wittgenstein, Journal, 11.6.1916)

—————————

Ils sont « différents », comme Dieu est différent.

Ni lui, ni eux,
ni l’un, ni l’autre
vous ne pouvez les ramener à vous,
les ramener au même,
sans leur faire violence.

Lâcher prise est la seule manière de maîtriser ce qui est différent.

Genèse 12,1-3 … Exode 3,13-14

Mais non, ils sont comme nous …

… c’est une autre histoire,
pour une autre fois.

Armin Kressmann 2008

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Une réflexion au sujet de « Wittgenstein et le handicap mental »

  1. Différence ou altérité, c’est la question. Être soi-même ou un autre.

    « … seul ce qui se ressemble diffère ; et seules les différences se ressemblent. La première formule pose la ressemblance comme condition de la différence … » (Gilles Deleuze ; Différence et répétition)

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