Une spiritualité bonne et bienveillante – Quelques critères

Spiritualité et spiritualités

Suite à mes recherches sur la spiritualité dans les institutions sociales, puis le colloque sur la spiritualité à Kappel je propose quelques critères pour distinguer ce qu’on peut qualifier de spiritualité bonne et bienveillante, sans aucun jugement du contenu que celle-ci défend.

Une spiritualité bonne et bienveillante

–          rappelle la dignité humaine, l’être humain en tant que personne unique, et cela d’une manière inconditionnelle, au-delà de tous les problèmes « que la personne pose ou qui se posent avec cette personne »

–          se centre avec empathie sur et se soucie de l’être humain dans toute sa vulnérabilité

–          mais compte aussi sur les ressources intérieures de la personne et sur ses capacités propres, cherche sa guérison et le dépassement des ses souffrances

–          libère donc l’individu et cherche son bien

–          est sensible à la souffrance, à la mort, au deuil, au mal et aux injustices, aux scandales que ceux-ci représentent ; elle les dénonce

–          ne lâche jamais l’espérance, cherche et défend fondamentalement une perspective de vie, se tourne donc vers une réalité ultime et le sens de la vie ; elle les nomme

–          elle dépasse la culpabilité, même quand faute il y a ; elle assume sa faute là où elle-même se rend coupable

–          s’inscrit dans une communauté avec une histoire de vie et des personnes de références

–          cherche un positionnement, une attitude

  • d’honnêteté et d’humilité
  • de confiance
  • de fidélité et de suivance raisonnables
  • de liberté d’esprit
  • de joie et d’espérance face aux incertitudes de la vie

–          est ouverte aux autres spiritualités et respectueuse à leur égard ; elle cherche le dialogue, sans estomper les différences

–          ne se réduit pas à l’inexplicable, le sentimental et l’irrationnel ; elle prend au sérieux l’entendement, la raison, la compréhension, la sagesse et cherche le dialogue avec la philosophie et la science ; elle accompagne les autres réalités sans se confondre avec elles

–          connaît ses limites, ne se confond pas avec l’absolu et sait prendre avec humour du recul par rapport à elle-même ; elle ne se substitue pas aux autres sphères, le politique, le juridique, l’économique, le scientifique, etc., mais se permet à les interpeller quand cela lui semble nécessaire et éthiquement indispensable

Armin Kressmann 2011


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Une réflexion au sujet de « Une spiritualité bonne et bienveillante – Quelques critères »

  1. Ci-dessous, une réflexion personnelle parue sous le titre « Touche pas à ma spiritualité ! » dans le magazine PERSO, numéro 15, en mai 2008 (www.personnalisme.org/files/Perso%2015.pdf).

    Pour information.

    Avec mes félicitations pour votre site.

    Christophe Engels
    engels_chr@yahoo.fr
    projetrelationnel.blogspot.com
    http://www.personnalisme.org

    TOUCHE PAS À MA SPIRITUALITÉ !

    Une spiritualité laïque existe bien.
    Nous sommes, en tout cas, une majorité à le penser.
    Un constat dont on peut se demander s’il témoigne d’avantage de la sémantique de plus en plus débridée d’un concept ou d’un rapprochement entre athées et croyants…

    Christophe Engels

    Ils sont de moins en moins nombreux, ceux qui se soucient encore de Dieu au quotidien. Ils le sont de plus en plus, ceux qui ressentent un vide spirituel que ni la science ni l’État ni les institutions
    ne sont en mesure de combler.
    La régression, chez nous, des religions traditionnelles
    n’a donc absolument pas débouché sur un déclin des besoins spirituels. Ces derniers, au contraire, sont plus présents que jamais. Tout juste ont-ils changé de forme en subissant un double phénomène d’émancipation et d’individualisation.
    Conséquence : le principal modèle de l’homme religieux n’est plus le « pratiquant ». Place, dorénavant, à un « chercheur spirituel » appelé à chercher seul la réponse à ses questions existentielles.
    L’heure du renouveau a sonné
    En matière de spiritualité, l’heure du renouveau a donc sonné. Et, du coup, une question se pose avec de plus en plus d’insistance : de quoi parlons-
    nous, dorénavant, quand nous recourons à ce terme ? Les résultats des enquêtes d’opinion révèlent l’urgence d’une mise au point en la matière.
    Le mot renvoie-t-il désormais à un ensemble de valeurs morales, à l’amour, à la vie intérieure, à la beauté de la nature, au mystère de l’existence…(1)
    Fait-il référence à une démarche destinée à appréhender le monde non matériel, à un questionnement sur le sens de la vie, à une réflexion sur soi (projets, objectifs, attitude face à la vie), à une forme de compréhension du monde en général, à l’éthique ou à la morale…(2)
    Autant de réponses qui, à tout le moins, manquent singulièrement de précision…

    Mot valise

    Ainsi, deux constats majeurs s’imposent. D’une part, on (re)parle de plus en plus de spiritualité. Mais, d’autre part, cette notion s’est faite de plus en plus vaporeuse. Tout se passe comme si sa récente notoriété avait été obtenue au prix d’une vertigineuse évanescence. D’où l’urgence de s’entendre, d’abord et avant tout, sur une définition. Un objectif difficile quand on sait à quel point la signification même du mot divise les intellectuels. Voyez, par exemple, Luc Ferry et André Comte-Sponville. Pour le premier, il s’agit d’une « aspiration au sacré [qui] se redéploie à partir de l’homme lui-même et du mystère de la liberté ». Pour le second, une spiritualité ne se conçoit pas sans référence à Dieu. (3)
    Désormais épurée et dépouillée de son écorce dogmatico-institutionnelle, la spiritualité du XXIe siècle apparaît bien éthérée, elle qui, dans sa nouvelle acception, ne se distingue plus clairement
    • ni de la religion,
    • ni de l’éthique,
    • ni de la morale,
    • ni de la sagesse,
    • ni même de l’intériorité.
    Et pourtant, la spiritualité a bien sa spécificité propre…

    Spiritualité n’est pas religion

    Pour dissocier le spirituel du religieux, il convient tout d’abord de répondre à une interrogation préalable : qu’est-ce qu’une religion ?
    Doit-on, comme Auguste Comte, estimer que ce mot provient du latin « religare » (relier) ? C’est une première possibilité qui met l’accent sur une aptitude à relier. Relier le croyant à Dieu. Et/ou relier les fidèles entre eux (autour d’une foi commune).
    Cependant, une deuxième étymologie peut être proposée. Elle renvoie à une autre origine latine : « relegere » (relire). Sous cet angle, la religion s’apparente plutôt à une pratique de relecture, celle-ci portant soit sur des textes considérés comme sacrés soit sur tout ou partie de l’univers.
    Cette activité renvoie dès lors à un processus
    permettant à l’homme de sortir de lui-même, avec, à la clé, une remise en cause de sa vision du monde.
    Spécialiste en sciences des religions, Frédéric Lenoir englobe, d’une certaine manière, ces différents codes d’accès quand il explique que la religion est collective et culturelle (4)
    Mais il ne s’arrête pas en si bon chemin. Cette approche lui sert avant tout à différencier la spiritualité qui, comme foi ou comme recherche de sens, serait, elle, éminemment universelle et individuelle
    : universelle par l’aspiration dont elle fait l’objet, individuelle par sa déclinaison dans le vécu. Croyants ou non, religieux ou non, nous sommes donc tous plus ou moins touchés par la spiritualité. Mais chacun d’entre nous l’est à sa façon. Le mot spiritualité permettrait ainsi de distinguer au mieux la religion communautaire de cette quête d’absolu qui, de près ou de loin, nous anime tous, spécifiquement mais systématiquement,
    dès lors que, nous interrogeant sur le sens de la vie ou nous demandant s’il existe d’autres niveaux de réalité, nous nous plongeons dans un authentique travail sur nous-mêmes.
    D’une part, donc, un processus religieux aux relents communautariens (5). De l’autre, une démarche spirituelle de type universaliste. Selon le philosophe français, la religion doit ainsi être considérée comme le langage symbolique qui explique à un groupe social ce qu’il faut croire et faire, l’inclination spirituelle se rattachant, elle, à la confrontation (intime) de chacun d’entre nous à la question (universelle) de l’énigme de l’existence (4). Un autre philosophe, Régis Debray, ne dit d’ailleurs rien d’autre quand il parle de « quête inspirée [faisant] vivre au singulier, comme un tressaillement plutôt qu’une adhésion, un effort de rejointoiement que les religions – c’est leur générosité
    – aménagent à grande échelle ». (6)
    Spiritualité n’est donc pas religion.

    Spiritualité n’est ni éthique ni morale

    Comment définir l’éthique et la morale aujourd’hui ? La question, complexe, dépasse de très loin le cadre de cet article. Contentons-nous donc, ici, de mettre l’une et l’autre dans le même sac (7) pour considérer, avec le philosophe Alain Renaut, que « Dans les deux cas, la sphère désignée est celle des jugements évaluatifs sur ce que l’on doit faire ou sur la manière dont il faut concevoir une vie bonne, c’est-à-dire une vie conforme au bien ou au devoir » (8).
    Qu’est-ce qui fonde l’éthique et/ou la morale ? Est-ce le devoir, le bien, la justice… ? Ou alors est-ce le bonheur, le plaisir, l’utilité… ? Toute l’histoire de la philosophie morale n’a pas suffi à apporter de réponse définitive à cette question.
    Dans tous les cas, cependant, ce qui meut aujourd’hui la démarche éthique est, selon le philosophe belge Philippe Van Parijs (Harvard et UCL), « le souci de cohérence, le souci de formuler
    explicitement, et de la manière la plus simple possible, un ensemble de principes qui confèrent une unité à l’ensemble de nos jugements moraux face aux circonstances les plus diverses. » (9).
    Spiritualité, qui ne se réduit pas à un tel souci de cohérence normative, n’est donc ni éthique ni morale.

    Spiritualité n’est pas sagesse

    Spiritualité serait-elle plutôt sagesse ? Caramba, encore raté ! Certes, l’une et l’autre ne font pas nécessairement mauvais ménage : elles se côtoient souvent au sein d’une même personne. Mais tel n’est pas forcément le cas. Pas question, donc, de les confondre. L’une naît en effet d’un ressenti, l’autre d’une réflexion sur l’existence. L’une s’apparente à un vécu, l’autre à une philosophie
    incarnée. Non qu’il y ait incompatibilité : on trouve – essentiellement en Orient – des sages inspirés, voire mystiques, tels les swamis indiens. Simplement, un sage n’a pas NÉCESSAIREMENT de dimension spirituelle : il peut – surtout en Occident – fonder sa discipline de vie sur la raison consciente, comme les stoïciens.
    Spiritualité, qui s’éprouve avant de se penser, n’est donc pas sagesse, qui se pense plutôt qu’elle ne s’éprouve.

    Spiritualité n’est pas intériorité

    Spiritualité serait-elle alors intériorité ? Certaines enquêtes pourraient le laisser croire. Et pourtant…
    La spiritualité a une dimension centripète, certes, mais, en en tirant la conclusion qu’elle s’assimile à l’intériorité, on oublierait de prendre en compte sa composante centrifuge. Une spiritualité à la seule échelle humaine s’éprouve en effet aux confins de deux besoins :
    • celui, centripète, d’intériorité et de ressourcement,
    • celui, centrifuge, d’une reliance (10) qui nous « raccroche » à autrui, au monde et/ou à l’univers.
    Pour cette raison au moins, spiritualité n’est pas – ou pas seulement – intériorité.

    Ressenti

    « Ce qui distingue les états d’en haut de ceux d’en bas, c’est, dans les états d’en haut, la coexistence de plusieurs plans superposés », écrit Simone Weil (11). Pas étonnant, dans ces conditions, que la spiritualité
    n’exclue a priori ni la religion ni l’éthique ni la morale ni la sagesse (12). Elle peut en effet très bien faire cause commune avec des consoeurs qui, comme elle, ont le souci de privilégier l’être par rapport au faire et à l’avoir.
    Reste qu’il convient de ne pas confondre les unes et les autres. Spiritualité, religion, éthique, morale et sagesse ont chacune leurs spécificités
    propres. Car si elles cherchent toutes à rencontrer un objectif assez semblable, elles se distinguent par leur manière de l’atteindre. Pour accéder à l’être,
    • la première (la spiritualité) conseille d’éprouver,
    • la deuxième (la religion) de croire,
    • les troisième et quatrième (l’éthique et la morale)
    de bien – penser,
    • la quatrième (la sagesse) de vivre sa pensée.
    Ainsi,
    • là où la religion prône la foi et – de moins en moins – l’observance dogmatique,
    • là où l’éthique et la morale requièrent – au minimum – la cohérence normative,
    • là où la sagesse recommande une existence bâtie sur la réflexion philosophique,
    la spiritualité suggère le ressenti, voire l’inspiration
    et le pressentiment.
    Pour la plupart d’entre nous, la spiritualité est appréhendée comme une aspiration à se mettre à l’écoute d’une partie plus noble de soi-même pour accéder à une impression intime : celle de sortir par le haut de sa quotidienneté et de tisser avec la communauté des humains, le monde et/ou l’univers un lien transcendant les habituelles contingences pratiques. Ressenti, donc, plutôt, que raisonnement. Impression plutôt que réflexion. Avec, évidemment, un danger sous-jacent : celui de cette spiritualité alibi que Simone Weil préfère aborder sous le nom de « transposition ». « Transposition : croire qu’on s’élève parce qu’en gardant les mêmes bas penchants (exemple : désir de l’emporter sur les autres), on leur a donné des objets élevés » (13).

    La spiritualité nouvelle est arrivée

    Ainsi, la spiritualité contemporaine apparaît comme un espace de sens. Mais ce sens est plus intuitif que raisonné. Au lieu de s’appréhender dans le rationnel, il concerne le vécu. Loin de se penser, il s’éprouve. Spontané ou favorisé, ce ressenti
    accompagne un double mouvement :
    • celui qui appelle à s’affranchir du moi exclusif,
    • celui qui autorise à dépasser le singulier de la personne.
    Si la spiritualité indique une direction, c’est donc celle de la sortie. Exit le « tout à l’ego » ! Une quête de paix intérieure incite non seulement à s’échapper de la prison des intérêts égocentriques et égoïstes pour s’aventurer à travers les idéaux du soi (14), mais aussi à franchir TOUT ou PARTIE d’un cheminement consistant à
    • rejoindre autrui (l’autre choisi et connu, voire les autres, inconnus, indifférents, adversaires, sinon ennemis),
    • se relier au monde et/ou à l’univers,
    • établir le contact avec Dieu (15).
    Sortir du moi, donc, pour mieux entrer en communion avec le monde, avec l’univers, voire avec Dieu : on retrouve là une manière assez traditionnelle d’envisager le concept de spiritualité. On pourra en revanche s’étonner de voir celui-ci aspirer la relation à l’autre. Peut-être doit-on déceler dans cet élargissement sémantique le signe d’une influence du bouddhisme. Celui-ci considère en effet qu’au-delà des convictions religieuses, il existe un deuxième niveau de spiritualité.
    « C’est ce que j’appellerais la spiritualité élémentaire, explique le dalaï-lama. Il s’agit des qualités élémentaires de base : la bonté, la gentillesse,
    la compassion, le souci de l’autre. Que l’on soit croyant ou non-croyant, cette sorte de spiritualité
    est essentielle » (16).
    La voie la plus directe pour accéder à la spiritualité
    serait-elle donc celle du transpersonnel, sur laquelle on s’engage seul, sans trop savoir où elle nous mènera ?
    Ce chemin, en tout cas, s’apparente à un processus
    permettant à quiconque de sortir du moi et même du soi. Il s’agit en effet d’aller doublement plus loin. Plus loin en soi, d’une part. Plus loin hors de soi, d’autre part : vers l’autre, les autres, le monde, l’univers, voire Dieu.
    La spiritualité s’éprouve donc au croisement de deux ou trois types de besoins :
    • le besoin personnel d’une vie intérieure, d’un sentiment d’exister aussi intimement qu’harmonieusement
    (intériorité) ;
    • des besoins transpersonnels qui supposent de se sentir relié à autrui, au monde et/ou à l’univers par autre chose que des nécessités pratiques ou des liens formels (spiritualité laïque),
    • éventuellement, le besoin de Dieu (spiritualité
    religieuse).
    Construite sur l’intériorité – socle indispensable mais insuffisant pour parler de spiritualité –, la spiritualité se décline donc selon plusieurs modalités
    qui peuvent se ramener à ces deux grandes
    lignes de force que sont la spiritualité laïque et la spiritualité religieuse.
    • L’intériorité, c’est une déliance (17) par rapport au passe-droit de l’ego et une reliance avec soi : elle se traduit par une remise en cause de cette vision du monde individualiste qui engage à ne penser qu’en fonction de « moi » et à n’agir que pour « moi ».
    • La spiritualité laïque, c’est une reliance
    – altruiste restrictive (avec l’autre choisi et connu),
    – altruiste collective (avec l’autre des communautariens
    : celui qui me ressemble),
    – altruiste inconditionnelle (avec l’autre universel : autrui en général),
    – écologique (avec le monde),
    – et/ou cosmique (avec l’univers).
    • La spiritualité religieuse, c’est une reliance avec Dieu.

    La spiritualité est-elle encore soluble dans la religion ?

    On le constate : non seulement la spiritualité ne doit pas se confondre avec la religion, mais elle peut très bien se passer, désormais, de celle qui naguère lui tenait lieu d’indispensable compagne. N’allons pas trop loin, néanmoins. Spiritualité – même contemporaine – et religion ne sont évidemment pas devenues incompatibles ! Frédéric Lenoir en veut pour preuve que les grandes religions ont développé en leur sein divers courants spirituels : ceux-ci ont été initiés par des maîtres de vie, des sages et des mystiques qui, d’ailleurs, n’ont pas hésité à décréter la prééminence de l’amour et de la quête spirituelle sur l’appartenance religieuse (4). Au quotidien aussi, le croyant se doit de s’appuyer sur la spiritualité – ne serait-ce qu’au travers de la prière ou de la méditation –, sous peine de faire de sa religion une coquille vide.
    Seulement voilà… À tort ou à raison, la religion n’a plus la cote. C’est dorénavant entre une foi de plus en plus clairsemée et un athéisme convaincu, sinon agressif, que campent la plupart d’entre nous : sur le vaste territoire de l’agnosticisme. Agnosticisme assumé, incertain ou négligent ? Agnosticisme à hypothèse de travail religieuse ou athée ? Peu importe. Globalement, près de deux tiers des Européens, sans pour autant revendiquer aucun engagement dans une religion particulière, déclarent qu’ils ne sont pas incroyants 18. D’où le commentaire de Jean-Louis Servan-Schreiber, rédacteur en chef du magazine Psychologies : « Si on a la foi – et ça ne se commande pas plus que l’amour –, une vie spirituelle en découle naturellement. Mais la vraie foi est rare. Et c’est là que les complications commencent, puisque les mystères n’en persistent pas moins. » (19)
    Alors que faire ? On peut refuser de s’attarder sur les questions qui dérangent ou se débrouiller pour les éviter. C’est ce qu’a bien vu Simone Weil en écrivant que « Tous les mouvements naturels de l’âme sont régis par des lois analogues à celles de la pesanteur matérielle. » (20) Oui mais… Rien ne garantit que les problèmes éludés ne sont pas appelés à nous rattraper un jour ou l’autre, à l’occasion de l’une de ces multiples difficultés que nous réserve inévitablement notre périple existentiel. Pas étonnant, dès lors, d’assister au déploiement d’une spiritualité laïque. Celle-ci s’impose de plus en plus comme un recours. Chez les athées, parfois. Mais surtout chez les agnostiques. Et même chez les « proches » des grandes religions.
    Voilà qui tombe bien : de plus en plus nombreux sont ceux qui pensent qu’il convient aujourd’hui de refonder l’humanisme en dépassant les clivages
    qui opposent croyants et non croyants. Parmi eux, Frédéric Lenoir, qui conclut de la sorte son dernier livre (21) : « Face au péril des fanatismes
    religieux et de leur vision totalitaire de la société, mais aussi du matérialisme consumériste déshumanisant, notre monde a besoin d’un nouvel élan humaniste qui réunisse tous ceux qui sont attachés à la dignité et à la liberté de la personne humaine. »

    1 Sondage par téléphone réalisé en France par BVA auprès de 1005 personnes et publié par le magazine Psychologies (1999).
    2 Enquête portant sur « La spiritualité en milieu étudiant », réalisée en Belgique par la société Sonecom pour le compte de l’Université Catholique de Louvain (UCL), sous la direction
    de Luc Albarello, 2001.
    3 André COMTE-SPONVILLE et Luc FERRY, La Sagesse des Modernes, collection Pocket, Robert Laffont, Paris, 1998, p. 721 à 723.
    4 Frédéric LENOIR, Les métamorphoses de Dieu / La nouvelle Spiritualité occidentale, Plon, Paris, 2003.
    5 Les philosophes communautariens (Alistair MacIntyre, Michael Sandel, Charles Taylor, Michael Walzer…) entendent
    substituer à l’individu universel, abstrait et désincarné du libéralisme politique un homme appréhendé
    en tant que sujet engagé au sein d’une ou plusieurs communauté(s). Ils veulent ainsi empêcher que l’être humain
    ne soit coupé des attaches communautaires (histoire, valeurs, relations, solidarités…) qui donnent sens à son existence.
    6 Régis DEBRAY, Les Communions humaines / Pour en finir avec les religions, Fayard, Paris, 2005, p. 131.
    7 « L’usage des deux termes peut parfois être différencié, mais ces usages distinctifs sont toujours conventionnel » (Alain RENAUT, La philosophie, Paris, 2006, Odile Jacob, p. 414).
    8 Alain RENAUT, La philosophie, Paris, 2006, Odile Jacob, p. 414.
    9 Christian ARNSPERGER et Philippe VAN PARIJS, Éthique économique
    et sociale, La Découverte, Paris, 2000, p. 8 à 10.
    10 Avant d’être repris par d’autres, comme Edgar Morin, ce mot séduisant a été initié par le psychosociologue belge Marcel Bolle de Bal, professeur émérite à l’Université Libre de Bruxelles (ULB).
    11 Simone WEIL, La pesanteur et la grâce, collection Bibliothèque du XXe siècle, Plon, Paris, 1988, p. 91.
    12 Laissons provisoirement de côté l’intériorité que nous avons appréhendée – pour faire simple – comme une partie de la spiritualité.
    13 Simone WEIL, La pesanteur et la grâce, collection Bibliothèque du XXe siècle, Plon, Paris, 1988, p. 93.
    14 Le soi, rappelons-le en nous inspirant de Paul Ricoeur, est un pronom qui ne prend pas par hasard la forme réflexive. Sa signification est à l’avenant. Elle renvoie à une relation de réflexivité qui désigne un mouvement partant d’un point pour y revenir. Le soi a le caractère du pli. Il sort de lui-même pour revenir à… soi, non sans avoir profité du passage par autrui pour se transformer.
    15 Peu importe ici, évidemment, qu’il s’agisse d’un Dieu chrétien,
    musulman, hindouiste ou autre.
    16 DALAÏ-LAMA et Homard CUTLER, L’art du bonheur, Robert Laffont, Paris, 1999, p. 277.
    Touche pas à ma spiritualité ! PERSO
    http://www.personnalisme.org 9 No 15 • Mai 2008
    17 Encore un mot initié par le psychosociologue belge Marcel Bolle de Bal.
    18 D’après une enquête de 1999 publiée dans la revue Futuribles,
    seuls 37 % des Européens prennent nettement positions pour ou contre l’existence de Dieu : 7 % se disent athées et 30% pratiquants convaincus. Pour plus de détails, voir « Que reste-t-il de chrétien en nous ? » dans le dernier livre de Frédéric LENOIR : Le Christ philosophe, Plon, Paris, 1997, p. 237 à 267.
    19 J.-Louis SERVAN-SCHREIBER, La spiritualité laïque existe…, dossier spiritualité, Psychologies, n° 181, décembre 1999, p. 74.
    20 Simone WEIL, La pesanteur et la grâce, collection Bibliothèque du XXe siècle, Plon, Paris, 1988, p. 35.
    21 Frédéric LENOIR, Le Christ philosophe, Plon, Paris, 2007, p. 299

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