L’esprit du jeu : corps et âme d’une institution

11ème article de la série On m’appelle handicapé

 

Tout le monde s’occupe de mon corps, peu nombreux sont ceux et celles qui soignent mon âme. C’est un constat, peut-être injuste. Peut-être faudrait-il dire : ils sont payés pour soigner mon corps, pas mon âme. Institution, par définition, est corps ; sinon on l’appellerait communauté, corps animé. L’institution est occupée et préoccupée, absorbée par ce qui est matériel, visible, quantifiable, maîtrisable et contrôlable ; contrôler l’incontrôlable que je suis. Les problèmes se règlent par les structures, la loi, les normes, les règlements et les procédures. Justification par la loi ? La morale n’est plus évidence, intégrée, portée par chacun, mais extériorisée, placardée, définie par une charte, qu’on appelle désormais éthique. Ce qui est visible, tangible, l’emporte sur l’invisible, sur ce qui tient ensemble le visible et l’anime, la culture, l’âme ou l’esprit de la maison. La loi tranche, met d’un côté ou de l’autre, dedans ou dehors, admet, exige ou interdit, mais néglige ce qui est « entre » et ne se laisse pas mettre d’un côté ou de l’autre.

 

Je suis « entre ». Nous sommes « entre ».

 

Ma vie est faite de dilemmes : et l’un et l’autre, une chose et son contraire, les deux peuvent être justes, ou, au contraire, les deux peuvent être faux. Au-delà de la norme, au-delà de la normalité règnent d’autres règles que celles qui tranchent et mettent d’un côté ou de l’autre.

 

Peut-être faudrait-il apprendre à jouer un jeu dont on ne connaît pas les règles à l’avance, avant de l’avoir joué, un jeu, dont les règles s’élaborent en jouant. Ce serait donc le jeu qui primerait sur ses règles, l’âme d’abord[1], le corps, les règles, l’institution donc, ensuite.

 

« Je ne te connais pas, tu m’es étrange et étranger, mais je veux jouer avec toi, tu m’intéresses, je suis prêt à te découvrir et, en même temps, les règles qui se dégageront de notre vivre ensemble ».

 

N’est-ce pas le début de toute histoire d’amour ?

 

Vivre en institution, bien vivre avec l’autre, celui qui est différent, et le respecter dans sa différence, en conséquence, n’est possible qu’en cultivant aussi l’aspect communautaire et en acceptant qu’il y a des choses qui ne se laissent pas régler par de nouvelles normes et procédures.

 

Spiritualité est le jeu, qui a besoin de règles, c’est vrai, mais ne se confond pas avec elles.

 

L’institution structure, – avoir sa place, du soutien et des repères, connaître les règles du jeu -,  la spiritualité, saine et bienfaisante, l’anime et donne le souffle et la liberté nécessaires pour que libre jeu il y ait.

 

Faire équipe, dans un jeu à inventer, c’est mon rêve ; s’y intégrer, les uns et les autres, jouer ensemble.

Armin Kressmann 2011, On m’appelle handicapé 11

< Respirer contre toute respiration


[1] La « vie », « psychè » en grec, cf. Évangile selon Luc, chapitre 12, verset 23

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