Comment sans choix être autonome ?

5ème article de la série On m’appelle handicapé

Je vous propose donc de me prendre comme je suis, un être humain et une personne comme vous. Ma vie n’a pas plus ni moins de valeur que la vôtre. Je suis un être humain et une personne comme vous. Prenez-moi comme je suis. Je dois aussi vous prendre comme vous êtes ; moi-même dans ma situation, dans la dépendance qui est la mienne, je n’ai pas le choix et beaucoup moins de moyens et de possibilités à me soustraire à ceux et celles qui sont là et qui s’occupent de moi, qui entrent dans ma chambre, qui me soignent, font ma toilette, me douche et m’habillent, et qui me nourrissent. On ne me demande pas si toutes ces personnes qui passent, qui viennent et qui partent me plaisent et me conviennent. Il y en a qui sont gentilles, d’autres sont rudes. C’est l’institution qui les choisit, qui décide pour moi, ni ma famille ni mon tuteur ; ces derniers, à ce sujet, n’ont rien à dire et quand ils s’en expriment, ils prennent le risque d’être mal vus. Vous voyez, nous les « fous » et les « monstres » sommes très tolérants et supportons des choses que vous n’accepteriez pas. Pour nous, pas de libre choix des intervenants, ni de chambre, ni du menu du jour, ni de l’heure du coucher ou du lever. Alors, quand nous nous défendons à notre manière, par des cris, des comportements dits inadéquats, des réactions fortes, physiques ou psychiques, essayez de comprendre ce que nous voulons dire.

Le non-choix des personnes qui nous entourent m’amène à une autre observation : ceux et celles qui m’accompagnent sont tous payés pour ce qu’ils font. Au fond, je ne connais pas leur motivation pour s’occuper de moi ; je dois être, et je le suis, reconnaissant qu’ils soient là et qu’ils me suivent tout au long de la journée. Mais, est-ce pour moi, pour eux, pour l’argent ? Le professionnalisme, que je félicite parce qu’il m’épargne bien des maladresses, va avec une mise à distance qui m’intrigue parfois. Ils s’appellent « accompagnants », mais ne partagent pas forcément le même pain avec moi, ce que voudrait dire « accom-pagnants ». Et la « distance thérapeutique » qui leur est tellement chère nous éloigne encore davantage. Je ne sais pas toujours si c’est du professionnalisme ou une bonne excuse pour ne pas trop s’impliquer, « jouer avec nous ». Vous, aimeriez-vous avoir uniquement des professionnels autour de vous ? Et l’amitié, voir l’amour ? Entre eux et nous, ils sont décriés, voire interdits, chez nous en institution ou par les organes de contrôle, l’État donc. Celui-ci se mêle de bien des choses chez nous et pour nous, souvent pour notre bien, parfois, dans sa vision totalisante où tout doit suivre ses lois, ses règlements et ses procédures, pour notre mal. Moi par exemple, qui me sens mieux dans une petite chambre, idéalement même mansardée, je dois vivre dans une grande chambre dont les mètres carrés sont quelque part prescrits dans un règlement.

Je vais encore un peu plus loin. Mes camarades, les autres résidents, ceux et celles qui vivent avec moi sur le même groupe, je ne les ai pas choisis non plus. Et il y en a qui sont difficiles, qui crient, pire que moi, qui se défendent physiquement, qui se plaignent, qui me critiquent, qui ne me supportent pas, moi qui dois les supporter eux. Il y a évidemment aussi les autres, même des amis très proches. L’amitié entre résidents est bienvenue en institution, encouragée, aussi longtemps qu’elle facilite le travail, mais quand on dépasse quelques limites, quand ça devient trop exigeant, quand on passe à la question de mariage ou de sexualité par exemple, on s’en méfie de nouveau. Notre sexualité met tout le monde mal à l’aise, dans l’institution, mais encore davantage dehors. Pour les uns nous n’avons pas de sexualité, nous n’avons pas à en avoir, – « parce que c’est toute une élaboration dont ces personnes ne sont pas capables » -, pour les autres nous sommes des monstres sexuels.

Et pourtant, tout le monde parle d’autonomie et d’autodétermination. Ils disent que je n’ai pas la capacité de discernement, mais mettent en avant mon autonomie. Ils jouent sur deux plans, me semble-t-il, la bienfaisance et l’autodétermination. En soi, ce serait une bonne chose, si les contraintes institutionnelles ne privaient pas sur mes intérêts à moi. Souvent, je ne sais pas ce qu’est l’enjeu qui les guide dans les conflits multiples du vivre ensemble en institution. Quand moi je voudrais aller à une animation ou sortir comme ça, parce que j’en ai tout à coup envie, je ne peux pas le faire sans leur aide. Si c’est le dimanche ou le soir et si eux, comme ils disent, « sont sousdotés », je dois rester sur le groupe. Et puis, il faut vérifier, si cela fait bien partie de mon « projet personnel » …

Armin Kressmann 2011, On m’appelle handicapé 5

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Une réflexion au sujet de « Comment sans choix être autonome ? »

  1. Je te félicite pour tous ces beaux et vrais textes que je viens de découvrir. Merci, j’ai beaucoup de plaisir à les lire.

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