L’espace intermédiaire et le jeu : « Jouer, c’est faire » – Donald W. Winnicott

L’environnement joue dans la conception actuelle de la réalité du handicap un rôle prépondérant : une personne telle qu’elle est, avec ses forces et ses faiblesses, ses capacités et ses déficiences, est handicapée seulement quand un facteur environnemental la met « en situation de handicap ». C’est alors un obstacle, – physique, psychique, institutionnel, etc., un facteur extérieur à la personne, « posé devant elle », ob-stacle, insurmontable pour elle avec ses déficiences -, qui provoque ce que nous appelons aujourd’hui « handicap ». L’environnement, l’espace qui entoure la personne, est en conséquence constitutif, pas seulement du handicap, mais de la personne en elle-même.

« De tout individu ayant atteint le stade où il constitue une unité, avec une membrane délimitant un dehors et un dedans, on peut dire qu’il y a une réalité intérieure, un monde intérieur, riche ou pauvre, où règne la paix ou la guerre. …

Si cette double définition (dedans et dehors, AK) est nécessaire, il me paraît indispensable d’y ajouter un troisième élément : dans la vie de tout être humain, il existe une troisième partie que nous ne pouvons ignorer, c’est l’aire intermédiaire d’expérience à laquelle contribuent simultanément la réalité intérieure et la vie extérieure. » (Donald W. Winnicott ; Jeu et réalité ; L’espace potentiel ; Gallimard, Paris 1975, p. 29s)

Pour Winnicott, cet espace, « l’aire intermédiaire d’expérience », est constitué à partir des « objets transitionnels », qui « sont là, à la place du sein » (p. 31)  maternel, et des « phénomènes transitionnels » où le jeu prend une place primordiale :

« La signification du jeu a pris pour moi une nouvelle coloration depuis que je me suis attaché au thème des phénomènes transitionnels, … depuis la première utilisation d’un objet ou d’une technique transitionnels jusqu’aux stades ultimes de la capacité d’un être humain pour l’expériences culturelle. » (D. W. Winnicott, p. 88)

« … à propos de l’expériences culturelle, je donne une forme concrète à l’idée que je me fais du jeu en affirmant que le jeu a une place et un temps propres. Il n’est pas au dedans, quel que soit le sens du mot … Il ne se situe pas non plus au dehors, c’est-à-dire qu’il n’est pas une partie répudiée du monde, le non-moi, de ce monde que l’individu a décidé de reconnaître (quelle que soit la difficulté ou même la douleur rencontrée) comme étant véritablement au dehors et échappant au contrôle magique. Pour contrôler ce qui est dehors, on doit faire des choses, et non simplement penser ou désirer, et faire des choses, cela prend du temps. Jouer, c’est faire. » (p. 90s)

Je retiens pour mes réflexions où le jeu n’est pas seulement métaphore du vivre ensemble, notamment avec les personnes mentalement handicapées, mais le constitue et le structure :

–         Jouer est habiter l’espace intermédiaire, l’entre, « das Zwischen », qui n’est pas seulement entre, mais, tout en étant entre, donc dehors, fait partie de moi, du dedans, de ce que je suis. Je suis dedans et dehors, et peut-être ce qui est entre dedans et dehors est plus constitutif de ce que je suis que ce qui est dedans. Le seuil est le lieu de vie et d’identité par excellence.

–         Le jeu, dans le sens fort du terme, base de la culture, est identique à ce qu’on appelle aussi spiritualité. Habiter l’espace intermédiaire du jeu est développer et soigner sa vie spirituelle. C’est là où se joue l’identité.

–         A distinguer et définir, sans les confondre, sont :

  • Le jeu en soi, LA culture, la dimension spirituelle de la vie et du vivre ensemble.
  • Les règles du jeu, la loi définissant …
  • … le terrain et le cadre du jeu, l’institution, espace protégé qui devrait donner libre jeu aux acteurs à l’intérieur du cadre, mais sans imposer les « passes, coups et contrecoups » (« die Spielzüge »), tout en empêchant les « coups interdits » qui font mal.
  • L’objet (transitionnel), qui est peut-être l’enjeu, psychologiquement et symboliquement le « sein maternel », donc la satisfaction de tous les besoins et réponse à tous les désirs, mais, suivant Winnicott, étant dehors incontrôlable (« le règne de Dieu ») et atteignable que symboliquement, dans le jeu.
  • En résulte, quand le jeu peut s’épanouir et développer, ce qu’on appelle communauté.
  • Sont donc en tension permanente, en dialogue et parfois opposés, non pas communauté et institution, comme souvent prétendu, mais institution et spiritualité. En principe est possible un jeu sans règles, ou plutôt, ce que j’ai déjà défendu ailleurs, un jeu dont se dégagent les règles, comme cela se fait entre enfants inventant un (autre) jeu ou les « jeux coopératifs » quand une règle empêche le développement du jeu.
  • Le handicap est en conséquence invitation à inventer des jeux nouveaux, donc à enrichir la culture.

Armin Kressmann 2010

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