John Rawls, Théorie de la justice

« Théorie de la justice »[1],

« L’idée qui nous guidera est … que les principes de la justice valables pour la structure de base de la société sont l’objet de l’accord originel. Ce sont les principes mêmes que des personnes libres et rationnelles, désireuses de favoriser leurs propres intérêts, et placées dans une position initiale d’égalité, accepteraient et qui, selon elles définiraient les termes fondamentaux de leur association. » p. 37

« De même que chaque personne doit décider, par une réflexion rationnelle, ce qui constitue son bien, c’est-à-dire le système de fins qu’il est rationnel pour rechercher. de même un groupe de personnes doit décider, une fois pour toutes, ce qui, en son sein, doit être tenu pour juste et pour injuste. » p. 38

« Les principes de la justice sont choisis derrière un voile d’ignorance. » p. 38

Justice entre personnes libres et rationnelles, qui définiraient entre elles les principes de leurs rapports, choisis derrière un « voile d’ignorance », c’est ce que Rawls veut. Programme ambitieux, dont on voit très vite les limites, notamment en médecine. Rawls lui-même admet :

« Aucune société humaine ne peut, bien sûr, être un système de coopération dans lequel les hommes s’engagent, au sens strict, volontairement ; chaque personne se trouve placée, dès la naissance dans une position particulière, dans une société particulière, et la nature de cette position affecte matériellement ses perspectives de vie. » p. 39

Alors, qu’en est-il avec les personnes handicapées et leurs perspectives de vie ? Il y a des inégalités, le système est asymétrique, dès le départ, le voile est levé, et Rawls, comment en veut-il tenir compte ?

Dans la théorie de la justice comme équité (« fairness »), quels sont les principes de la justice que les personnes choisiraient :

« Le premier exige l’égalité dans l’attribution des droits et des devoirs de base. Le second, lui, pose que des inégalités socio-économiques … sont justes si et seulement si elle produisent, en compensation, des avantages pour chacun et, en particulier, pour les membres les plus désavantagés de la société. » p. 41

Coup génial, l’asymétrie est juste si elle profite à tout le monde, en particulier aux plus défavorisés. Le principe du « trickle down » ! Est-ce qu’il fonctionne dans la réalité ? Et les asymétries se creusent-elles ou, au contraire, même avec ces principes de la justice, ne s’agrandissent-elles pas ?

« Pour l’essentiel je me suis penché sur le contenu du principe de la liberté égale pour tous et sur la signification de la priorité des droits qu’il définit. Il semble à propos ici de noter qu’il y a une interprétation kantienne de la conception de la justice dont ce principe dérive. Cette interprétation est basée sur le concept kantien d’autonomie. » p. 287

Encore deux citations qui donnent d’autres perspectives :

La première par rapport à la désobéissance civile, état exceptionnel :

« Nous faisons appel aux autres pour qu’ils reconsidèrent la situation, se mettent à notre place et reconnaissent qu’ils ne peuvent plus compter sur notre consentement indéfini, face aux conditions qu’ils nous imposent … est un des moyens de stabiliser un système constitutionnel, même si c’est par définition un moyen illégal …  utilisé de manière limité et à bon escient … En résistant à l’injustice dans les limites de la fidélité à la loi, elle sert à empêcher les manquements vis-à-vis de la justice et à les corriger s’ils s’en produit. » p. 422

Il y en a en milieu institutionnel qui craignent d’y arriver dans un futur pas très lointain, de se retrouver devant ce choix ou la nécessité de passer à un système communautariste, c’est-à-dire de revenir à une vie institutionnelle qui se décrocherait des valeurs dominantes en société et chercherait son propre chemin et son propre financement[2].

« Nous sommes alors conduits à l’idée que l’espèce humaine forme une communauté dont chaque membre bénéficie des qualités et de la personnalité de tous les autres, telle qu’elles sont rendues possibles par des institutions libres … » p. 567

Il serait à voir dans quelle mesure Rawls pense réellement à « tous les autres », ou juste aux « autres égaux », ceux et celles qui sont « libres et rationnels ».

Armin Kressmann, mémoire en éthique, 2005


[1] Seuil, Paris 1987

[2] Il est à relever que les Eglises ou/et les valeurs défendues en Eglise jouent ici un rôle de régulateur auquel la société civile devrait être sensible et attentive. Souvent, les Eglises ou des personnes en Eglise, au nom de l’Evangile, prennent sur elles la responsabilité d’un tel acte et s’engagent selon leur conscience à l’intérieur ou à l’extérieur de la légalité. Les exemples en sont nombreux, de la création d’une pastorale de la rue, des Cartons du cœur, à l’accueil et la défense de clandestins, ou très récemment et d’actualité encore, la prise de position contre le refoulement de requérants d’asile au canton de Vaud. La création même de certaines institutions pourrait être vue dans un contexte de désobéissance civile ou d’objection de conscience.

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