Spiritualité et spiritualités : « spiritualités ludiques »

Spiritualité définitions

Spiritualité et spiritualités

Si à la limite, – frontière, marge, « no man’s land », « terra nullius » qui n’est pas « land without any man »  -, espace il y a, comment l’habiter ?

Nous sommes enfin devant des spiritualités qui ne pensent ni la transcendance à partir de l’immanence, ni l’immanence à partir de la transcendance, ni d’abord ce qui se passe à la limite, sur la marge, au seuil des deux, mais qui veulent habiter l’espace qui s’ouvre entre elles quand elles entrent dans une dynamique d’échange et de négociation. Ce sont des spiritualités que j’appelle « spiritualités ludiques », – d’ordre pédagogique, artistique et/ou religieux.

Elles mettent en scène le jeu entre immanence et transcendance, mêmeté, altérité ou ipséité[1], moi-même, autrui et le tiers, soit-il comme moi-même ou tout-autre, sans se préoccuper de leur réalité et de leur essence en tant que tels. C’est le jeu qui compte, et pour qu’il ait lieu et se passe dans de bonnes conditions, il faut définir et respecter les règles du jeu ; le jeu s’écroule avec l’abandon ou la négation de ses règles, dont la plus fondamentale est celle d’y croire, au moins de « faire comme si »[2], mais cela avec foi et conviction. Le cadre est reconnu en tant que tel et prend un statut en soi, forme et fond sont liés l’un à l’autre et se définissent mutuellement. Mais ici, on travaille d’abord sur la forme, sur les conditions du jeu, dans la conviction que ce sont elles qui vont créer une dynamique qui fait que le fond puisse se manifester et s’épanouir. Ce que compte d’abord, c’est l’espace intermédiaire[3], c’est lui qu’il s’agit de définir.

Dans le domaine artistique, l’espace intermédiaire est la scène au théâtre[4], c’est la feuille blanche pour l’écrivain, la toile pour le peintre ou la pellicule pour le cinéaste.

Dans le pédagogique l’espace intermédiaire s’appelle « espace pédagogique », et le « triangle pédagogique » représente la dynamique entre l’enseignant, l’apprenant et le tiers qu’est le contenu de l’enseignement.

Dans le religieux l’espace intermédiaire est représenté par la liturgie et le chœur d’une église, voire l’église comme espace intermédiaire elle-même. Le jeu, – avec tous ses enjeux, car il s’agit du salut de l’âme -, s’appelle ainsi culte ou messe.

D’une manière générale, l’espace intermédiaire est le langage, – parole ou Parole, verbe ou Verbe -, soit-il verbal ou signifié par d’autres signes (gestes, symboles, rites, images, etc.). Plus formellement, ce sont les rites et leurs règles qui structurent les différents espaces intermédiaires, dans l’espace et dans le temps, rites quotidiens multiples ou rites de passages lors des grands passages de la vie.

Dans le monde institutionnel, une telle conception de la spiritualité est intéressante, par le fait qu’elle n’impose pas de spiritualité en tant que telle, mais définit le cadre dans lequel les différentes spiritualités et les différentes manières de vivre une spiritualité donnée entrent en relation et en négociation les unes avec les autres[5].

Ainsi la boucle est bouclée, et institution, – les règles du jeu -, et spiritualité, – le jeu -, se définissent mutuellement.

Armin Kressmann, Rapport « La spiritualité et les institutions », CEDIS 2008


[1] « Selbstheit », « soi-même-té » ; ce qui mène à la « Selbsterfahrung », l’expérience de soi-même, de son propre « soi », « Selbst » ou « self ».

[2] Qui n’est pas un faire semblant ; le jeu transcende la mise en scène et en fait une réalité. Je rappelle la force du symbole qui unit deux réalités réellement, l’immanence et la transcendance en l’occurrence.

[3] Donald W. Winnicott ; Jeu et réalité

[4] Telle que Peter Brook la conçoit : « L’espace vide » ; Écrits sur le théâtre

[5] Et cela dans le sérieux du jeu qui fait du jeu plus qu’un jeu. Dans ce sens je récuse la vision « laïque » qui fait par exemple des fêtes une simple affaire pédagogique et thérapeutique. Si on n’y croit pas, le jeu perd sa pertinence et sa force. Cf. p.ex. ce passage qui se trouve dans un document AVOP (Association vaudoise des organismes privés pour enfants, adolescents et adultes en difficulté) :

« Certaines manifestations, parce qu’elles ont des racines religieuses, peuvent être assimilées à des pratiques religieuses, alors que leur visée est avant tout thérapeutique. On pense à la célébration de fêtes qui marquent les saisons et permettent de structurer le temps. Ces célébrations se déroulent dans nombre d’établissements n’affichant pas une orientation philosophique ou religieuse particulière. On ne saurait s’en étonner, puisque l’ensemble de la société, dont les institutions font partie intégrante, célèbre ainsi les temps forts de l’année. »

« Spiritualité et spiritualités  16 : « spiritualités de transition »

Spiritualité et spiritualités 18 : la régulation en institution socio-éducative »

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