L’Esprit et notre théologie de la création, avec Genèse 1,1-3 (Gn 1,1-3)

Un petit échange à partir de la question du « mariage pour tous » sur Facebook (fb) nous a permis d’approfondir quelques enjeux sur la création : nature … sagesse … don … grâce

Michel Kocher : Merci pour tes deux démonstrations, contradictoires, « pour » et « contre » le mariage pour tous. De quoi faire réfléchi et inciter au respect des positions …

AK : Dépasser les opinions et revenir à la théologie, ce n’est pas simple … Dans ma démarche, il y a aussi un côté expérimental : voir quels chemins prennent les deux visions, si chemin elles prennent. On n’ose pas se positionner publiquement, à part quelques exceptions … je le comprends, parce que sur la question du « mariage pour tous », concept d’ailleurs importé de France, notre Église est divisée. On n’aimerait pas heurter les sensibilités, ni d’un côté ou ni de l’autre.

Jean-Pierre Thévenaz : Merci Armin! … Même en restant heurté par plusieurs de tes formulations, je partage ta conclusion pour le mariage… faute d’un meilleur terme (matrimonium parle de maternité!). Mais je te prie de relire Moltmann autrement : la nature n’est justement pas prise par lui comme fait , mais relue comme communion et sympathie. Et parle-t-il de la bénédiction simplement par la procréation ? Non… – alors, que dit-il qu’elle est ?

AK : Merci, cher Jean-Pierre, ces petits échanges sur fb nourrissent la réflexion et la font avancer un peu. Comme tu le dis, ce que j’apprécie chez Moltmann, c’est sa vision trinitaire de la création qui l’amène à comprendre et concevoir la nature d’une manière relationnelle et participative : « teilnehmende Erkenntnis ». C’était révolutionnaire et nous a fait sortir du rapport sujet (absolu, Dieu) – objet (nature) qui finalement instrumentalise et exploite la nature. Ce que je ne partage pas, et c’était le seul point de ma critique, justement, qu’il prend la nature non pas comme fait, mais comme création : « Erkenntnis der Natur als Gottes Schöpfung. ». Je renverse : nature est fait, précède la création par la Parole. Au départ, pour le nouveau-né, nature est opaque et chaotique, néant (qui est et résiste, mais, comme Dieu, l’Étre, n’existe pas, il est, il est non-être), et c’est par la Parole créatrice (de l’Être) qu’elle se structure. Pour Moltmann, si j’ai bien compris, la bonne création précède la nature, il y a corruption : « Mit ‘Natur’ ist die Wirklichkeit derjenigen Welt gemeint, die nicht mehr Gottes Schöpfung und noch nicht Gottes Reich ist. » Par rapport à la pneumatologie, importante pour Moltmann, j’insiste sur ce souffle, féminité et maternité, qui plane sur les faits, les eaux primordiales, le chaos, le néant auquel est confronté tout être au départ, l’esprit de vie qui devrait mouvoir et transcender toute science qui prend la nature comme fait. C’est mon correctif contre l’exploitation de la nature, correctif qui, avec la Parole créatrice pointe déjà le royaume. Au commencement, avant le commencement, il y a le souffle die vie qui plane sur ce néant qui menace tout commencement, l’esprit du texte que formule la parole créatrice avec laquelle commencent nos histoires de vie. J’argumente à partir d’une autre exégèse de Gn 1,1-3

Elio Jaillet : Déjà : merci pour la réflexion ! « Les » je ne sais pas, hormis ceux qui sont dans mon esprit – je vais le laisser jouer un peu librement. J’ai l’impression que la manière la plus fructueuse reste encore celle qui lie « Création » et « Alliance » (Barth). La Création est grâce, don premier dans lequel une vie pleine est possible. Cela va dans ton sens si je vois bien. Pour aller plus loin, il y aurait un découplage à effectuer de trois termes « Création »-« Nature »-« Loi »-« Connaissance ». Ceux-ci sont assez décisifs quant on pense l’histoire des sciences naturelle dans son rapport à la théologie, mais ne nous aide plus beaucoup actuellement. Il faudrait détacher et inviter à relire les termes chacun pour soi. Et nous verrons ce qu’il en découle dans la suite. Dans la Création Dieu fait alliance avec « ça qui est là » : il en a l’initiative et donne de l’initiative. La « loi » serait peut-être la trace de cette alliance dans le « ça » qui peut alors peut-être apparaître comme nature : le don de la loi fait apparaître l’identité de ce « ça » au regard de la Création. Mais Création et nature ne se télescopent pas ici. Par contre qu’est-ce qui se passe au moment où le « ça » trouve un nom ? Qu’est-ce qui se passe au moment du retour sur la naissance ou l’on constate que l’on co-naît ? (parce qu’il s’agit d’une alliance et donc d’un co-) Un nom qui a un effet sur le développement de cela même qui est nommé. Lorsque le Créateur trace sa Création et que celle-ci se retrouve avec une Loi entre les mains, comme effet du traçage, comme don de vie à disposition mais différent de la vie elle-même, si l’on cherche à nommer ce qui se passe là, alors il faudrait parler de « Sagesse ». C’est un élément qui me manque dans les termes « Création »-« Nature »-« Loi »-« Connaissance ». Si je veux connaître ce qu’il en est de ce qui se dévoile là comme nature par le contraste de la loi, je fais face à la Sagesse (et là, à titre d’exemple : Pr 8,12ss et 1 Co 1,18ss). Connaître la nature, c’est faire face à la sagesse dans son action, et donc me mettre à son écoute (car face à la sagesse, je suis un disciple). Lire le livre de la nature serait peut-être se mettre à l’écoute de la Sagesse (parce que la Création, on ne l’écoute pas… elle se reçoit). La nature reste en son fond mystérieux, inaccessible : elle ne se connaît que par le contraste de la Loi dans l’écoute de la Sagesse. Et s’il faut discerner, le critère sera : Evangile (nouvelle création / Création répétée, affirmée, confirmée). Je veux posséder la nature (non pas la connaître) afin de pouvoir me saisir de la Loi comme de la chose en jeu et non pas comme la trace de la Création dans laquelle je vis : à ce moment là je pêche. J’écoute la sagesse du monde et non la sagesse de Dieu. Je ne connais rien et suis aveugle sur la nature. Du coup, en ce qui concerne le « mariage pour tous » => méditer premièrement la Sagesse et non la nature, car nous ne la connaissons pas autrement. Ce qui impliquerait premièrement de lire d’autres textes que ceux que nous lisons habituellement (Gn 1 etc.), afin de relire ces textes-là autrement.

AK : Voici une illustration du bien-fondé et bienfait de la théologie, contre ce que je viens de lire dans Réformés de ce jour : « Je ne comprends pas que l’on puisse être théologien. Comment est-il possible d’étudier/discourir sur un sujet/objet dont la première caractéristique d’exiger que l’on croit à son existence. »

Et si nous reconnaissions dans l’Esprit du commencement la sagesse qui plane sur tout, même et surtout là où chaos il y a ?

Elio Jaillet : La Sagesse se voit dans la vibration de l’eau, tout en étant plus que le souffle et le chaos dans leur rencontre. Ou alors, pour ne pas simplement dire non, je reformule : dans l’Esprit du commencement, qui plane sur tout, je reconnais la sagesse, surtout là où chaos il y a.

AK : « Le vent souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit. » (Jean 3,8 Jésus avec Nicodème)

Jean-Pierre Thévenaz : Dans le chaos qui nous précède, il n’y a pas que la vie, mais justement il y a la vie, et elle nous précède en tant qu’Esprit.

Elio Jaillet : … j’aurai envie de maintenir une différence entre le chaos comme tel et l’Esprit. Mais oui : là où il y a de la vie dans le chaos l’esprit est là

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